Ghost shops

Comme les ghost towns de l’ouest américain, certaines boutiques ont un jour été abandonnées, du jour au lendemain vidées de leur contenu comme de leurs occupants. A Paris, cet état d’abandon ne dure guère. Mais le passant attentif peut encore apercevoir le fantôme du chemisier derrière les vitrines du 14, rue de Castiglione.

Offrons-nous donc un coup d’oeil dans le rétroviseur, entonnons le couplet de la nostalgie, versons une larme avec cet internaute anglophone :

« Marvel at the dilapidated mosaics in the sidewalks on Rue Rivoli and Rue de Castiglione spelling out the names of bygone haberdasheries like Sulka and Rhodes et Brousse, along with those of vanished outposts for Anglophiles like Aquascutum and British Airways… Rivoli, Castiglione and Place Vendôme used to be a central area for gentlemen’s haberdashers the way that Jermyn St was in London. The hatters Gelot, along with Charvet, Tremlett and Edouard & Butler all had shops directly on the Place (only Charvet is still in business, and it long ago moved to much larger space right off the Place Vendome)… Boivin, Rhodes & Brousse and Sulka were on Castiglione… »

(styleforum.net, décembre 2009)

Donc, il y a encore une dizaine d’années, avant d’abriter la vitrine et les produits clinquants du chausseur Rodolphe Ménudier, la boutique du numéro 14 sentait la province, la poussière et le beau produit. Quelques pulls en cachemire à col V étaient en stock depuis deux générations, d’un cintrage qui n’était pas encore revenu à la mode. Les mouchoirs en lin étaient roulottés comme on n’en a plus idée. Tout à l’avenant. Et les chemises ? qu’il suffise de préciser que la maison était la dernière à Paris à en coudre les boutonnières à la main.

L’amateur de beaux produits éprouve souvent le sentiment d’être arrivé trop tard (depuis le temps qu’on arrive trop tard, il doit y avoir là une erreur de jugement). A titre personnel, je me rappelle, étudiant sans le sou, avoir poussé la porte de Rhodes et Brousse et demandé si la première commande sur mesure devait comporter un nombre minimum de chemises. Le vieux monsieur Brousse me jeta un regard fatigué par-dessus ses lunettes en demi-lunes, et me répondit : quatre, ou six, je ne sais plus trop, assez en tout cas pour décourager l’enquiquineur.

J’ai fini avec beaucoup de chemises Charvet, et, tout de même, quelques regrets.

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