Tassel loafer I : le chic décontracté

Peu de modèles de souliers divisent autant les amateurs que les tassel loafers. Leurs glands sont une vraie pomme de discorde, entre ceux qui ne peuvent pas les voir, même en photo, les traitent de ringards, et une petite fraction d’amateurs indécrottables et volontiers exclusifs.

En fait, le sujet du tassel loafer a déjà été abordé dans ces lignes, mais il mérite peut-être qu’on y revienne, alors que le modèle fleurit de nouveau dans les collections de prêt-à-porter, même sous les marques les moins classiques, et qu’il se retrouve aspiré, pas toujours très inspiré, par le retour du style preppy.

Commençons par un peu d’histoire… Mais pas trop. Ouf ! car l’invention est récente : elle ne date que de 1948. A cette époque, l’acteur d’origine hongroise Paul Lukas regagne sa patrie d’adoption, celle de la bannière étoilée, des blue jeans et du football-joué-avec-les-mains. Il rapporte dans ses bagages (ou à ses pieds, l’histoire ne dit rien de ce détail pratique) une paire de richelieus dont les extrémités des lacets sont ornés de pampilles. Il dépose la paire chez un bottier new-yorkais et lui demande de réaliser un modèle similaire, mais avec les lacets à pampilles autrement disposés. Comme le résultat ne lui convient finalement pas, il confie chacune des deux chaussures à un nouveau bottier distinct, avec pour identique mission d’en améliorer le confort.

C’est alors que chacun des bottiers fait appel à Alden, qui redessine complètement le soulier, et incorpore le lacet en cuir et les pampilles à un mocassin, et sur une forme d’un plus grand confort. Les lacets ornés de pampilles ne sont plus qu’un élément décoratif.

Alden pressent l’existence d’une demande potentielle pour un soulier à la fois confortable, décontracté et élégant. Il fait encore évoluer le patronage, et la production démarre en 1950. Succès ! En 1952, son modèle est proposé dans une vingtaine de patines différentes, en box ou en cordovan, notamment dans une patine bordeaux qui se vendra ad nauseam.

En 1957, Brooks Brothers demande à Alden de lui fabriquer le même modèle pour sa collection, avec une modification du dessin des contreforts. Et c’est parti ! En quelques années, le tassel loafer devient un des accessoires les plus caractéristiques du style Ivy league.

Ensuite ? les avocats et les lobbyistes, jeunes diplômés qui n’ont pas le temps de s’acheter de nouvelles chaussures, les font passer sous le costume, en dépit des ricanements des légitimistes du dress code, qui jugent impensable d’atteindre à l’autorité professionnelle autrement qu’en lacets. Passent les années, passent les modes, et aujourd’hui tous les bottiers dignes de ce nom proposent une ou plusieurs versions de tassel loafer.

J’avais dit que je ferais court, mais… Enfin, voilà en quelques mots l’histoire du modèle, je vous propose maintenant de gloser sur son style. Et là, je l’avoue, je le confesse, je requiers volontiers pro domo pour le tassel loafer, puisque j’en fais à titre personnel une forte consommation, ce qui me range dans la catégorie des amateurs indécrottables évoquée plus haut.

Sa forme basse, son coup de pied discret me font moins penser aux mocassins des indiens d’Amérique qu’aux chaussures de cour du XIXe siècle, dont les pumps actuelles, qui accompagnent par exemple le port du smoking, sont les héritières directes. Pour atteindre à cette légèreté de lignes, il faut une forme fine et un lac discret, relativement court. Voire pas de lac du tout, comme on peut le voir chez quelques chausseurs qui le remplacent par de simples perforations décoratives, ou laissent la tige lisse. Je pense ici à un modèle proposé par Aubercy depuis deux saisons.

On n’est pas obligé d’aller vers ces choix extrêmes pour trouver son bonheur sur le marché, même en prêt-à-porter. Une fois jeté son dévolu sur un modèle qui, on l’aura compris, éloigne définitivement le tassel loafer de son peu distingué cousin, le penny loafer, ou mocassin à plateau, la question se pose de savoir avec quoi le porter. Je propose au lecteur indulgent de répondre à cette question dans un second article, dans lequel, j’annonce la patine, je risque fort de devenir un prosélyte pathétique.

Une réponse à “Tassel loafer I : le chic décontracté

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *