Retour vers le futur

La photographie date presque exactement d’un siècle. Elle a été prise en 1912, et montre un groupe d’artistes et intellectuels italiens, trois ans après la publication du Manifeste futuriste dont ils se réclament*. Ils se nomment Luigi Russolo, Carlo Carrà, Filippo Tommaso Marinetti, Umberto Boccioni et Gino Severini, mais l’histoire a oublié ces noms de notre côté des Alpes. Pourtant le Manifeste évoqué plus haut fut publié dans… Le Figaro !

L’arrière plan urbain de la photographie, qui forme involontairement un fond anthropométrique du moins bel effet, invite à penser que la séance de pose a été improvisée, l’occasion faisant le larron, peut-être au sortir d’un déjeuner de têtes, idées lancées entre deux couches de lasagnes, fouettées par le chianti, adoucies par le tiramisu. On se dit en regardant cette photo qu’aucun groupe d’artistes contemporains n’aurait cette allure à la ville. Aujourd’hui, seule une brochette de designers italiens saisis à l’occasion du Pitti Uomo par un jour d’austérité vestimentaire affichée pourrait offrir un tel cliché. Et encore, cinq chapeaux et trois paires de moustaches pour cinq hommes, c’est tout de même beaucoup. Très daté. Une seule canne, en revanche, c’est peu pour l’époque.

On se dit aussi que, vus de 2014, des groupes d’artistes ou d’intellectuels européens de la Belle époque, d’hommes politiques ou encore, que sais-je ? de chefs d’entreprises se ressemblaient beaucoup sur le plan vestimentaire, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Autrement dit, les notables de tous les secteurs d’activité au début du siècle dernier respectaient dans leur mise un ensemble de règles partagées qui formaient le socle d’une élégance vestimentaire à la fois plus conformiste et plus sophistiquée : quand tout le monde porte du noir, l’œil apprend à en distinguer mille nuances.

Il s’agissait là probablement d’un accident post victorien dans l’histoire vestimentaire européenne, et cette mode serait inacceptable du point de vue de nos sociétés individualistes modernes, mais on lui doit sans doute, justement parce que l’uniforme exacerbe la perception du détail, le perfectionnement d’un savoir-faire artisanal de haut niveau, non plus réservé aux habits de cour ou aux circonstances exceptionnelles, mais quotidien, pratiqué par les tailleurs, chemisiers, bottiers, dont nous goûtons encore les fruits aujourd’hui dans le commerce de ses derniers héritiers.

* Le musée Guggenheim à New York consacre en ce moment une exposition rétrospective à ce mouvement (Italian Futurism, 1909–1944: Reconstructing the Universe, visible jusqu’au 1er septembre prochain).

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