Sous le soleil exactement

Les montures de forme « pantos » sont partout depuis trois ou quatre ans. Il n’en fut pas toujours ainsi. A la fin des années 1990, lorsque je commençai à m’intéresser à la façon de protéger mes yeux du soleil, et surtout d’accessoiriser proprement mon visage pâle sorti de l’ombre des villes, ce type de modèle était complètement passé de mode, et devenu difficile à trouver chez les opticiens.

Lunettes ecaille

Voilà pourquoi, après quelques incursions dans le prêt-à-mettre-sur-le-nez, je dessinai bientôt coup sur coup deux paires de lunettes solaires que Meyrowitz[1] réalisa avec talent. Très proches l’une de l’autre, leurs formes étaient inspirées par les lunettes portées par Cary Grant dans North by Northwest (« La Mort aux trousses », en français), mais aussi par celles que portaient à la ville de célèbres clients de la maison dans les années 1930, tels que Sacha Guitry ou Marcel Achard (larges montures, branches droites). J’insistai pour commander également des verres de couleur verte, non standard, qui me coûtèrent un œil. Mais dans l’ensemble le prix me surprit par son caractère raisonnable. Il est vrai que, par souci d’économie, j’avais opté pour l’acétate de cellulose, imitant l’écaille, plutôt que pour la corne, beaucoup plus chère, ou l’écaille véritable, fascinante mais au-dessus de mes moyens.

Je ne saurais regretter aujourd’hui, en dépit de l’offre actuellement abondante de montures pantos, l’investissement d’alors. En particulier parce qu’il me poussa à analyser précisément les proportions de mon visage, l’espace entre la bouche et les yeux plus grand que la normale, pour déterminer ensuite les proportions les mieux adaptées aux montures qui lui seraient destinées.

Le prix exact de ce caprice s’est effacé de ma mémoire, et je ne trouve pas de facture pour me le rappeler avec précision. Mais le plaisir constant que je prends à l’usage de ces beaux objets que j’ai imaginés d’abord, et la perfection avec laquelle ils tombent, comme un veston bien taillé sur les épaules de son propriétaire, me dédommagent largement du coût marginal supplémentaire qu’ils représentaient. Et même aujourd’hui je n’en trouverais pas l’équivalent dans le prêt-à-porter de la lunette.

De sorte que, s’il m’est permis de conclure par un modeste conseil, j’encourage le lecteur à comparer le prix d’une paire de lunettes sur mesure à celui d’une paire de lunettes fabriquée sous licence par un industriel italien pour quelque grand nom de la mode, et à se demander si la comparaison ne tourne pas largement à l’avantage de la première, une fois mises en perspective l’expérience de consommation et la valeur d’usage.


[1] 5 Rue de Castiglione – 75001 PARIS

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