Le crépuscule de l’habit de soirée

Ariane est un film de Billy Wilder, sorti dans les salles en 1957 et diffusé il y a quelques jours par la chaîne de télévision Arte. Je ne saurai peut-être jamais s’il s’agit d’un bon film, car je n’en ai vu que dix minutes, par hasard. Mais dix minutes instructives sur l’évolution de la mode masculine.

Il s’agit pour l’essentiel d’une scène de soirée à l’opéra. Non seulement les femmes y portent des robes… de soirée, mais aussi beaucoup d’hommes portent encore des habits de soirée, white ties, quelques uniformes d’avant les restrictions budgétaires*, et surtout ils les portent avec aplomb, naturel et élégance. Même Gary Cooper a de l’allure, c’est tout dire !

Ces vêtements ont aujourd’hui, hélas, largement disparu des gardes robes masculines. Et les jeunes héritiers de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie des années 2000, lorsqu’ils singent leurs aînés le temps d’un Bal des débutantes, ne savent plus porter de tenues tant soit peu habillées. Sans compter que les habits trop peu portés, quand ils ne sont pas loués pour l’occasion, sont aussi raides, mal ajustés, moches, quoi ! qu’une paire de jeans neuve. Les derniers Mohicans d’un savoir-porter de gala se recrutent parmi les dandies maniérés et désargentés qui vivent sous les toits entre deux dressings.

En écrivant ces mots sévères, pris de scrupules, je vérifiai par acquis de conscience la mise des cavaliers du Bal des débutantes sur le site Internet de l’organisateur (je ne pensais même pas qu’il existât un tel site, mais quand on vous le dit, que tout est sur le Net). Vérification faite, ils ne ressemblent à rien, en effet : les pantalons tire-bouchonnent, les manches de vestons sont trop longues, les cols baillent, les gilets dépassent de vingt centimètres sous le devant de l’habit. Une catastrophe.

Certes j’ai limité mon examen à l’édition 2012 (il faudrait plus de force que de curiosité pour remonter d’un an dans la visite de ce musée des malappris), et le Bal des débutantes est plus connu pour sa concentration d’argent que de bon goût, mais une telle unité dans le naufrage prouve que la tradition est rompue depuis longtemps déjà. Subsiste le folklore, plus pour très longtemps, heureusement, tant il conviendrait, à ce stade, d’arrêter le massacre.

Comme l’habit à la française resta porté quelques décennies encore par les gens de maisons des grandes familles, l’habit de soirée survivra sur le dos des maîtres d’hôtel, quelques décennies là aussi. La suite ? Revival ou innovation, à nous de l’inventer !

* Tenues 11 ? Dans ce cas, elles prouvent qu’avant l’horrible spencer décrit dans les instructions récentes de l’armée de terre, un militaire français pouvait avoir l’air de quelque chose en tenue de soirée. Pour le plaisir, je renvoie les plus curieux à la dernière instruction en la matière :

ETAT-MAJOR DE L’ARMEE DE TERRE : bureau logistique.

DIRECTION CENTRALE DU COMMISSARIAT DE L’ARMEE DE TERRE : sous-direction logistique ; bureau réglementation.

INSTRUCTION N° 10300/DEF/EMAT/LOG/ASH – DEF/DCCAT/LOG/REG relative aux tenues et uniformes des militaires des armes et services de l’armée de terre.

Du 13 juin 2005.

Extraits :

« Tenue 11 : portée par les officiers lorsque la tenue de soirée est de rigueur »

6 réponses à “Le crépuscule de l’habit de soirée

  1. Bonjour,
    Ja’i toujours dans mon dressing un habit de soirée avec son gilet en piqué blanc
    Cela fait 20 ans que je n’ai pas eu l’occasion de le porter, sauf pour un rôle de théâtre amateur
    C’est aussi un peu la même chose pour ma smoking jacket
    Je lis black tie sur l’invitation, je le porte à cette réception nous ne sommes que deux et on nous prend immédiatement pour des maîtres d’hôtel !

  2. Pareil pour moi, j’ai un habit de soirée complet (avec gilet bien sûr aussi), mais ça fait dans les 5 ou 6 ans que je ne l’ai plus mis 🙂

  3. Bonjour,
    je suis également surpris par ces gilets qui dépassent de la veste. A mon avis, cela vient du fait que le pantalon est porté beaucoup trop bas, par ignorance ou par confort. Résultat, pour que le gilet recouvre le pantalon, il faut le rallonger d’autant. Je ne comprends pas qu’un tailleur ou qu’un loueur puisse laisser ses clients faire ça sans les prévenir…

  4. Je tourne la tête à droite : mes copines du magazine féminin en ligne http://www.elleadore.com sont là. Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point je suis contente de les retrouver ! Une semaine que j’ai terminé mon stage chez elles et je suis déjà en manque, non mais vous imaginez ! Elles sont toutes là, toutes mignonnes. Là, j’avoue que quand je les ai retrouvées, j’ai fait ma fille à coups de « aaaaah », « hiiiiii », « les fiiiiiiiilles ». Mais je le vis bien. Bref, elleadore.com fut sans doute mon plus grand moment de bonheur de la soirée.

  5. Je ne peux que soutenir votre appel à une élégance qui ne fait que trop défaut aux grands de notre – nouveau – monde. Mon opinion personnelle sur ce sujet est sûrement contraire à la doxa actuelle : je tiens la standardisation et le nivellement par le bas responsables de cette médiocrité omniprésente, contre laquelle s’insurgent toutefois un nombre grandissant d’hommes et de femmes, vrais représentants de la tradition de tolérance de notre pays, n’en déplaisent aux parangons de la langue de bois, aux hérauts du discours fallacieux et démagogue … Bref, ceci n’est pas le sujet.
    Je me dois de vous féliciter pour votre blog que je commence seulement à découvrir, avec une joie croissante.
    Je souhaitais seulement rectifier le passage sur le bal des débutantes : l’aristocratie n’a plus rien à voir avec cet événement, et la grande bourgeoisie pas beaucoup plus, ce bal est l’occasion pour le « show business » de se montrer dans tout son mauvais goût, comme vous le soulignez néanmoins plus loin.

  6. Merci pour votre soutien, vos félicitations qui font rougir les contributeurs de ce site, et la rectification que vous apportez à un propos certes un peu court. Voilà en tout cas un sujet qui méritera peut-être une suite…

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