La mode en garborama

Dans la famille des journalistes, parmi les enfants de tailleurs arméniens, on connaissait Daniel Bilalian. Lorsqu’il apparaît à l’écran (encore l’imparfait conviendrait-il mieux désormais), on sent que cet homme-là ne reste pas indifférent aux codes de l’élégance masculine. Il convient d’ajouter désormais la critique Nelly Kapriélian à la liste des journalistes sensibles au style vestimentaire.

Greta Garbo par Anthony Beauchamp (1951)

Son premier roman, intitulé Le manteau de Greta Garbo[1], ressuscite, le temps d’une vente aux enchères, l’image de la grande star du cinéma américain à travers sa garde robe. Au fil de celle-ci, serait-on tenté d’écrire, tant une garde robe offre plus que l’instantané d’une collection de vêtements : le récit tangible d’une évolution individuelle.

Le roman de Nelly Kapriélian n’est pas vraiment un roman, et n’en avait d’ailleurs pas la vocation, mais les éditeurs s’accordent à juger qu’un roman se vendra toujours mieux qu’un essai, toutes qualités intrinsèques mises à part. Et puis, on ne sait jamais, à la saison des prix littéraires il est toujours possible de cueillir un prix, dont l’effet de levier sur les ventes est beaucoup plus fort dans la catégorie des romans. Dont acte.

L’une des découvertes que fera sans doute le lecteur, ce n’est pas Greta, c’est Valentina. La couturière Valentina Schlee, plus connue, si l’on peut dire, connue des fashionistas peut-être, sous le nom de « Valentina » (de son vrai Valentina Nicholaevna Sanina Schlee, née en Ukraine en 1899, émigrée en 1917, arrivée à New York en 1923, c’est déjà un roman) habilla Greta Garbo dès les années 1930. Extrait :

« Je ne fais pas des robes, j’habille les femmes. » Valentina détestait la mode. Cette frivolité qui consiste à s’adapter à toutes les nouvelles tendances, qu’elles conviennent ou non à certaines morphologies ou modes de vie. Elle ressentait cette uniformisation du goût comme une négation de l’individualité de chacune, de ses caractéristiques propres, de ses atouts ou de ses défauts physiques, la personnalité consistant pour la Russe à choisir le rôle qu’elle voulait jouer dans sa propre vie et à se servir du vêtement comme d’un outil qui lui permettrait de l’interpréter. » (page 74)

On peut relever que l’uniformisation évoquée par l’auteur ne tue pas tout à fait l’individualité, comme tous ceux qui ont eu a porter l’uniforme le savent, parce qu’ils ont pu constater combien la manière de le porter, précisément, trahit encore, consciemment ou non, la personnalité. Cela dit, la méfiance vis-à-vis de la mode reste un sentiment respectable et, toujours minoritaire, toujours d’actualité. Et ce paragraphe extrait du livre de Nelly Kapriélian résonne comme un manifeste pour une élégance détachée des contingences de la mode.

A sa manière, Greta Garbo incarna, surtout après le terme prématuré de sa carrière cinématographique, cette forme d’élégance, avec une prédilection pour les mises les plus discrètes, les couleurs les moins voyantes. Le manteau qui donne son titre au roman se détache, dans cette veine, comme une tache de couleur vive qui attire l’attention de la romancière intriguée. Il sera finalement son seul achat à l’issue de la vente aux enchères de la garde robe de l’actrice par ses héritiers. Mais le roman ne tire pas vraiment parti de ce que révèle toujours l’énigmatique apparition d’un caprice vestimentaire. Dommage. Il y aurait eu un livre intéressant à écrire…

Greta Garbo et Valentina Schlee (Anonyme)

[1] Nelly Kapriélian, Le manteau de Greta Garbo, éditions Grasset et Fasquelle, Paris 2014, 288 pages

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *