La mauvaise monnaie chasse la bonne

L’autre jour, un ami m’accueille dans le restaurant où nous nous retrouvons, premiers d’un petit groupe de camarades qui convergent ce midi dans le quartier de l’opéra (Garnier, est-il besoin de le préciser ?). Le temps est plus que maussade, pluvieux. Très pluvieux. Est-ce que je grommelle à ce propos, fais allusion à ce ridicule pli du pantalon, héritier d’une mode irrationnelle qui s’impose depuis plus d’un siècle, épongé ce jour-là par l’humidité ? Est-ce que je proteste contre l’odeur de laine mouillée, le tissu poché ? Toujours est-il que cet ami me dit, goguenard, qu’il a mis son « costume de pluie ».


L’expression me laisse songeur. Il pleut 170 jours par an à Paris… Il doit le porter souvent, son costume de pluie. Moi aussi, j’en ai, des costumes de pluie, de ces mal aimés auxquels on finit par s’attacher, pour peu que leur qualité leur permette, finalement, de tenir à l’usage aussi longtemps que des costumes trois ou quatre fois plus chers.

Les économistes connaissent tous la « loi de Gresham », qui constate que « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». En effet « lorsque deux monnaies se trouvent simultanément en circulation avec un taux de change légal fixe, les agents économiques préfèrent conserver, thésauriser la « bonne » monnaie, et par contre utilisent pour payer leurs échanges la « mauvaise » dans le but de s’en défaire au plus vite. »1

Eh bien il en va un peu de même en matière de garde robe ! On pourrait dire que, dans une large part de la population, par un réflexe calculateur très petit bourgeois, le mauvais costume chasse le bon, de crainte d’abîmer ce dernier, quand l’idéal aristocratique commanderait au contraire de ne prêter ni un grand soin, ni une grande attention à ces vêtements que nous portons par pure convention sociale. C’est ainsi que, pour préserver dans le temps un vêtement auquel il attache plus de prix qu’à un autre, un quidam aura tendance à le porter moins, presque à le thésauriser.

Je me souviens, il y a quelques années, avoir été surpris en complet veston par une averse violente en me rendant à un rendez-vous : une douche en bonne et due forme, et en prime un bain jusqu’aux genoux. Mais une fois sec, le veston semblait m’aller encore mieux, et n’avait pas autrement souffert de ce rinçage imprévu. Le pantalon quant à lui ressemblait certes à un jogging des années 1980, mais après un repassage il avait retrouvé toute son allure et n’avait rien perdu de son confort.

Conclusion : Méprisons les intempéries et ne portons que ce qu’il y a de mieux et de plus cher à notre goût dans notre garde robe ! Je fais une exception en ce qui concerne les souliers : vu le prix et la fréquence du ressemelage nécessaire à des souliers qui affrontent régulièrement la pluie, on a intérêt à disposer d’une ou deux paires de souliers munis de patins, qui, ainsi enlaidies et alourdies pour lutter contre les fortes précipitations ou la neige, comme des automobiles de chef d’état blindées contre les attentats, ne sauraient compter au nombre des ses paires préférées.

1 Source : Wikipedia.org