En septembre, l’été se retire sur la pointe des espadrilles. Rentrée des classes et cartables de sortie, ça sent le clap de fin pour la garde robe des beaux jours (jusqu’à la prochaine saison s’entend). Si le mois est assez ensoleillé, on pourra cependant porter encore à quelques reprises ce vêtement si symbolique de la décontraction estivale : le chino.
Mais au fait, un chino, kessako ? Disons, pour faire simple, un pantalon en twill de coton épais et résistant (ceci explique cela). Le twill peut être plus précisément une gabardine, car la gabardine, telle qu’on la tisse de nos jours, se présente comme un genre de twill. Ce qui compte, c’est le tissage sergé dans les deux cas.
A ce stade pourtant liminaire, on peut déjà noter que la définition ou la vision du chino varient beaucoup. Ainsi la « styliste personnelle » Isabelle Thomas le décrit-elle comme un « pantalon de toile, en coton, droit, sans pinces ». Je considère au contraire que le chino devrait être d’une coupe ample, pour des raisons historiques et pratiques. Avant de revenir sur ce point, citons encore la styliste, qui offre une synthèse heureuse et haute en couleurs, si j’ose dire, des origines du chino : « D’après la légende, c’est Sir Harry Lumsden, commandant d’un régiment anglais stationné en Inde en 1848, qui aurait eu l’idée de faire teindre les uniformes blancs de ses hommes avec un mélange de curry, de café et de jus de mûres afin de camoufler la saleté (d’où le nom de “khaki” qui signifie en hindi “couleur de terre”). Une autre histoire prétend que l’origine du chino vient de pantalons anglais destinés à la Chine puis revendus aux Philippines avant de tomber entre les mains de soldats américains qui s’en sont emparés (d’où le nom de “chino”). »
Une légende n’exclut pas l’autre, pourrait-on ajouter. Quoiqu’il en soit, il est probable que les premiers chinos n’étaient pas coupés comme des jeans, parce que les uniformes, autres que d’apparat, l’étaient rarement. Enfin, le chino, plus que n’importe quel autre vêtement, doit être confortable, creusé de plis profonds, percé de larges poches pour y fourrer sans précaution tout ce qui tombe sous la main et n’ira pas dans les poches d’un veston qu’on aura laissé au vestiaire sous le soleil ardent : téléphone, portefeuille, monnaie, lunettes de soleil, panama et magazine également roulés, que sais-je encore ?
Il y a plusieurs pantalons en gabardine de coton dans ma garde robe, tous ont plus de dix ans au compteur, et derrière eux autant d’étés d’usage plus ou moins intensif selon que le réchauffement climatique s’y fit plus ou moins sentir. Le modèle photographié pour les besoins de cette chronique n’est peut-être pas le plus remarquable (je pense ici au travail de Gabriel Gonzalez, qui a également réalisé pour votre serviteur des costumes d’été dans les mêmes tissus, merveilles d’une qualité et d’une robustesse à nulle autre pareilles), mais il est d’une qualité supérieure, réalisé en demi-mesure par Marc Guyot il y a une quinzaine d’années, et surtout il a été le plus porté et dans les conditions les plus extrêmes, ce qui le qualifie pour une revue de détail et un retour d’expérience.
Ce chino, je le baptise modèle El-Alamein, du nom de la ville égyptienne rendue célèbre par la bataille qui s’y déroula en 1942. Outre son look vintage, du fait de son déphasage avec la mode actuelle, on a l’impression, en le voyant, qu’il a fait la campagne du désert sur mes jambes. La transpiration a même déteint le coton derrière le genou, à l’endroit des plis. Effet roots garanti. Et cette année, à Paris, nous avons eu largement l’occasion de rejouer la campagne d’El-Alamein : d’après les météorologues, nous avons connu un épisode de sécheresse comparable à celui de 1976.
Le tissu de coton de ce chino venait de chez Holland & Sherry, et a très bien résisté aux frottements, peut-être mieux encore qu’une paire de blue jeans modernes, plus fins que leurs aînés. Seules les pattes de serrage latérales présentent une usure très visible, sans être encore inquiétante. On a donc intérêt, une fois qu’on les a réglées à la bonne longueur, à ne pas les desserrer au moment de retirer son pantalon, afin de prévenir cette usure précoce (on rencontre le même problème avec un pantalon en laine, au fait). Un autre conseil, vous l’aurez déjà compris, au moment de choisir ou de commander un chino, consiste à oublier la mode actuelle : demandez du volume, des plis et de la place pour transporter à votre aise à la fois un corps accablé de chaleur et le contenu d’un sac à main. Moyennant quoi votre pantalon vous servira de longues années, aussi pratique à la ville qu’à la campagne.