Pull over

Le pull noué autour du cou… Rime avec faute de goût, n’est-ce pas ce qu’on nous a enseigné, dans ces petits cercles vains du bien penser vestimentaire ? Peut-être sous l’influence de certains dandies pour qui l’élégance du plus grand nombre déchoit forcément, le pull over porté sur les épaules, autour du cou, est devenu synonyme de beaufitude, excusable seulement dans le relâchement stylistique du quinquagénaire en vacance sur la côte Atlantique, direction la crêperie du port.

Une leçon de sprezzatura made in England

Je me dis moi aussi que le pull sur les épaules est ridicule, surtout parce qu’il est incommode et de deux chose l’une, soit inutile, soit inapproprié : quand on a vraiment besoin de porter un pull over, on l’enfile ! Frédéric Beigbeder dixit :

« Les collègues cadres du sexe masculin ont tous un pull sur les épaules, simplement noué ou négligemment jeté par-dessus leur polo Ralph Lauren rose. Octave trouve cela inadmissible et il s’auto-énerve :

– MAIS QU’EST-CE QU’ILS ONT TOUS AVEC LEURS PULLS NOUÉS AUTOUR DU COU ! De deux choses l’une. Ou bien il fait froid et on enfile le pull, ou bien il fait chaud et on le laisse à la maison. Le pull autour du cou trahit la lâcheté, l’incapacité de prendre une décision, la peur des courants d’air, l’imprévoyance et la veulerie, l’exhibitionnisme du shetland (parce que, évidemment, ces messieurs sont trop radins pour s’acheter du cachemire). Ils portent cette espèce de pieuvre molle autour du cou parce qu’ils ne sont pas foutus de choisir une tenue adaptée au temps qu’il fait. Toute personne qui a un pull sur les épaules est trouillarde, inélégante, impuissante, lâche. Les filles, jurez-moi de vous en méfier comme de la peste. NON A LA DICTATURE DU PULL SUR LES ÉPAULES ! » *

Mais voilà, un jour les circonstances font que… On n’a nulle part où ranger son pull, on prévoit de revenir chez soi dans les brumes du jour d’après, le froid traître du petit matin. Alors on emporte un pull avec soi, et on le met sur les épaules parce qu’on ne trouve pas où le mettre ailleurs.

Grave question : vaut-il alors mieux nouer son pull à la taille ou autour des épaules ? De façon aussi catégorique que subjective, on peut dire que le pull porté autour de la taille, passé l’âge de 25 ans, n’est plus envisageable. J’assume cette envolée dogmatique : laissons le pull autour de la taille à ceux qui savent le porter, aux minets de Saint-Jean-de-Passy, aux joueurs de crickett des colleges anglais.

Dans tous les cas (si vous comptez bien, il n’y en a que deux), voici quelques règles à respecter qui limiteront les dégâts stylistiques. Choisissez un pull longtemps porté, assoupli par l’effort et les lavages successifs, qui pendra comme une chaussette et plombera mieux qu’un pull neuf. Si vous nouez les manches autour du cou, laissez-les pendre de façon légèrement asymétrique. Comme des testicules. Vous voyez ? Et portez le pull noué d’une façon assez lâche : si vous avez vraiment besoin de vous réchauffer le cou, c’est une écharpe qu’il vous faut. Ces trois conseils convergent vers une décontraction visible qui vous permettra de mieux assumer un choix vestimentaire aussi douteux.

Moyennant ce petit effort de mise en scène, guère éloigné du travail du décorateur qui prépare un drapé, vous aurez peut-être l’air excusable d’avoir conservé une certaine élégance en cédant à la vulgate du tricot plouc. Vous pourrez dignement vous rendre à la crêperie, et en chaussures de pont, par-dessus le marché !

Une vision d’horreur tout droit sortie des années 1980

 

* BEIGBEDER Frédéric, 99 francs, éditions Grasset, PARIS 2000. Où l’on peut constater que presque tous les travers du style Beigbeder sont réunis dans ce court extrait : barbarismes pour-faire-jeune, citation de marques à la Bret Easton ELLIS, abus des lettres capitales, etc.