Elégances rrrubystiques

Vous avez bien lu, pardon pour l’orthographe : le sud-ouest de la France est si présent dans l’histoire du rugby hexagonal qu’on a souvent envie pour en parler de rouler des r et d’avaler un g, même si la professionnalisation de ce sport, depuis un peu plus de trente ans, tend à gommer ses accents folkloriques. Avec ou sans accent, la prochaine Coupe du monde de rugby se déroulera en France à l’automne 2023, une bonne raison pour se pencher sur l’évolution de la tenue des joueurs, y compris en dehors du terrain, et juger si elle peut constituer une source d’inspiration vestimentaire dans des circonstances moins sportives.

Le maillot de rugby, pièce maîtresse de ce vestiaire, parfois mis sous verre, encadré comme une Joconde et accroché au mur d’un club house d’outre-Manche, a connu plusieurs évolutions depuis sa création. Les premiers maillots étaient en laine, à manches longues. On imagine l’inconfort, les jours de pluie… Les maillots ont ensuite été raccourcis pour permettre une meilleure liberté de mouvement. Dans les années 60, ils ont commencé à être fabriqués en coton puis ont été peu à peu remplacés par des maillots synthétiques à partir des années 1990. Les maillots modernes sont fabriqués à partir de tissus techniques qui permettent une meilleure évacuation de la transpiration et une meilleure régulation de la température corporelle. Le polyester et le spandex, par exemple, sont des matériaux légers, respirants et résistants à l’eau, parfois on y ajoute des panneaux en mesh pour permettre une meilleure ventilation (à quand le téflon pour décourager le tirage de maillot ?).

Mais ce n’est pas ce qui se voit le plus depuis les tribunes. De là, ce qui frappe dans l’évolution des maillots de clubs, à partir des années 1990, c’est l’apparition des logos publicitaires sur fond de course à l’échalotte entre les designers, au jeu du Qui-créera-le-maillot-le-plus-laid-cette-année. La palme au Stade Français, toujours très au-dessus de la mêlée à ce jeu-là. De sorte que le maillot de rugby des clubs, qui pouvait être porté en d’autres circonstances de façon presque élégante est désormais interdit de séjour dans un dressing de bon goût.

Le short des années 1960 était long et large, ce qu’on appelait un « flottant », et ses proportions ont suivi la mode du football cousin : rétrécissement au lavage dans les années 70-80 et style rétro marqué à partir des années 90. Les shorts modernes, plus légers (bis), semblent moins bien résister à « l’ascenseur ». L’ascenseur ? ça consiste, lors d’une remise en touche, à soulever vigoureusement par le short un des joueurs dans l’alignement pour l’aider à aller chercher plus facilement le ballon dans les airs.

Aux pieds, les godillots en cuir armés de crampons métalliques vissés dans la semelle ont cédé le pas eux aussi à du synthétique : cuir synthétique, caoutchouc. On y a gagné en poids et les crampons modernes sont eux aussi faits de matériaux plus variés.

Globalement, on peut donc dire qu’en même temps que les joueurs devenaient plus lourds (la musculation, les potages à la créatine), leurs tenues devenaient plus légères.

En dehors du terrain, la tenue la plus appropriée devrait reposer sur un blazer droit, porté avec… Avec un peu ce qu’on veut, ça dépend de la saison, pourvu que l’équipe respecte une certaine uniformité et porte la même cravate, une cravate club, of course. Hélas, une fois de plus en copiant le cousin rond, les rugbymen du XV de France se déplacent maintenant en costumes de ville, mal taillés par un industriel qui a tiré sur les coûts pour remporter un appel d’offres mesquin. Résultat : les joueurs ont un air de culturiste qui s’est offert son premier costume et ne sait pas bien nouer une cravate.

Il est vrai que certains d’entre eux ne porteraient jamais de complets autrement, ce qui peut excuser le nœud de cravate approximatif sur un col déboutonné qui sent plus la troisième mi-temps que la photo de classe. Ces mêmes joueurs portent-ils encore le smoking pour les soirées black tie ? Jean-Pierre Garuet, pilier du XV de France dans les années 1980, transportait des sacs de patates en guise de musculation (il avait repris à son compte un commerce de pommes de terre, le rugby était encore amateur) et répétait que sans le rugby jamais il n’aurait porté un smoking ni noué un nœud papillon…

Parlons-en, du nœud papillon ! Pour rappeler au passage qu’il fut porté régulièrement sur le terrain, dans une couleur rose lipstick peu orthodoxe, par les membres du show-biz, tous équipiers du Racing Club de France (RCF), jusqu’à leur finale victorieuse de 1990. Durant la pause, à la mi-temps de cette finale (à l’époque, la pause était courte, les équipes restaient sur la pelouse), l’ancien ailier du RCF, Yvon Rousset, servit en blazer le champagne à ses coéquipiers.
Un nœud papillon rose, ça vous dit quelque chose ? En effet, ce sont bien quatre anciens du show-biz qui ont ensuite créé la marque de vêtements Eden Park, avec le succès qu’on sait et qui nous amène droit à la conclusion de ce bref article.

Dans tout cet attirail, que peut-on porter hors du stade ? Le blazer, s’il est assez discret et débarrassé de l’éventuel écusson aux couleurs du club, a droit de cité. Mais si le maillot de rugby peut encore être porté à la campagne ou en bord de mer pour une tenue décontractée, il faut désormais renoncer à recycler un authentique maillot pour se tourner vers les « polos » de rugby que proposent des marques telles qu’Eden Park, Serge Blanco ou encore Ralph Lauren. Cette dernière propose les plus belles pièces mais du côté des prix… On leur a fait l’ascenseur (voir plus haut). En matière d’étiquette, une seule règle à se rappeler, la même que pour les chemises de ville : ja-mais de polo de rugby à manches courtes. S’il fait chaud, on roule les manches, et on lève une rafraîchissante pinte de bière à la santé du XV de France, pour lui souhaiter un franc succès dans la prochaine Coupe du monde !

Sources des images (deux non identifiées) : Getty, Franck Fife pour AFP, Ralph Lauren.