Tristes latitudes : chez nous, le parapluie sert plus souvent que l’ombrelle. Au fait, pour ceux qui ne connaissent pas le single des Beatles Here comes the sun, dont j’ai travesti le titre pour le faire coller à la saison, il y a séance de rattrapage sur la plage 7 de l’album Abbey Road.
Des manches de bambou, comme du bon pain !
Mais revenons à l’automne, revenons au parapluie. Une sorte de toit individuel… L’idée est vieille comme la Grèce antique, qui nous a transmis le témoignage d’ancêtres de notre parapluie. Les premières tentatives modernes d’introduire cet accessoire datent du milieu du XVIIIème siècle. Elles sont dues à un certain Jonas Hanway (Londres, ses docks, ses pubs, ses pluies rafraîchissantes) et furent accueillies avec scepticisme. Mais, en 1873, Samuel Fox (Londres, ses docks, ses pubs…) déposa un brevet pour un système de fermeture qui donna finalement au parapluie l’allure que nous lui connaissons aujourd’hui, et le succès commercial qui lui faisait défaut jusqu’alors.
Le meilleur parapluie que j’aie jamais possédé venait de chez Madeleine Gelly, boulevard Saint-Germain. La boutique des sœurs Gelly est une minuscule échoppe surmontée d’une enseigne pittoresque qui déborde largement au-dessus du trottoir. On se croirait dans une rue piétonne à Salzbourg.
A l’intérieur, à l’époque de mon achat, les parapluies occupaient presque tout le réduit du fonds de commerce, pas plus grand qu’un plaid déplié pour le pique-nique. Seul un étroit passage subsistait, de la porte à la caisse. Les clients se serraient, il fallait venir là un jour de pluie, quel spectacle ! un théâtre de poche, les badauds mouillés se pressant tant bien que mal au milieu des bambous entoilés, tandis qu’une vendeuse octogénaire faisait l’article au premier d’entre eux, avec une lenteur courtoise et déférente qu’on ne trouve plus qu’en province. Depuis lors, la maison a mené une ambitieuse opération de fusion-acquisition, qui lui a permis d’annexer le fonds de commerce voisin et de doubler au bas mot sa surface de vente.
J’avais donc acheté là une merveille, une sorte de Brigg maison, manche de bambou et finitions parfaites. Léger, solide. Et assez cher aussi, pour tout dire. La couleur de la toile n’était pas tout à fait noire, mais d’un gris anthracite très soutenu. A l’usage, l’objet se révéla un chef d’œuvre de mécanique. Tout tombait parfaitement. Jamais besoin de forcer. Confortable, aérien, et robuste en même temps, il était parti pour durer.
Fauché un jour de pluie, voilà comment il a disparu de mon ciel. Fauché dans le porte-parapluies d’une librairie chic de la rue de Rivoli, ça m’apprendra…
Connaissez-vous les parapluies Simon, à Paris ? C’est là que j’ai retrouvé un peu goût à la vie-sous-la-pluie, quelques jours après cette désarmante expérience de la rue de Rivoli. Car, naturellement, le modèle n’existait plus chez les sœurs Gelly.
J’entre donc chez cet autre spécialiste, boulevard Saint-Michel. Les parapluies Simon, situés à deux pas des jardins du Luxembourg, importent des Briggs authentiques, mais pas n’importe comment ! La patronne des lieux, une quinquagénaire dynamique, passionnée par l’objet de son commerce, se plaint devant moi qu’il faille soumettre le fabricant britannique à forte pression pour obtenir le meilleur de son savoir-faire, depuis qu’un financier a repris l’entreprise et décidé de réaliser des économies de coûts de fabrication. Certaines finitions sont même effectuées à Paris, lorsque celles de l’usine apparaissent insuffisantes ou approximatives.
Ainsi en est-il du bag, la housse que les Britanniques jugent parfois de mauvais goût d’utiliser. Ici, on m’explique que la maison, lorsqu’elle fournit de jeunes cadres dynamiques comme l’auteur de ces lignes, propose de reprendre les coutures de la housse, jugée trop lâche, afin de donner au parapluie rangé une allure plus sportive. En entendant « jeune cadre dynamique », je me retourne pour m’assurer qu’on parle bien de moi. Personne derrière moi. Je n’en crois pas mes oreilles.
Me voilà en tout cas mis en condition pour payer un prix dynamique. Mais à la vérité les parapluies Simon poussent le bon goût jusqu’à pratiquer des tarifs raisonnables. Au passage, on m’apprend les subtiles différences qui existent dans la fabrication d’un parapluie entre la France et le Royaume-Uni. Différences subtiles parce qu’invisibles, tout se joue en effet à l’intérieur du manche. Mais là, c’est comme si les fabricants ne roulaient pas du même côté de la route, ils montent leurs baleines à l’inverse les uns des autres.
Je suis donc plus savant ! Et, quelques jours plus tard, équipé d’un nouveau parapluie. Que je n’ai pas encore égaré, malgré un ou deux oublis au vestiaire de restaurateurs aussi distraits que leur client. Tout de même, en dépit de toutes ses qualités, ce Brigg n’atteint pas la perfection de son prédécesseur, dont la housse désormais inutile doit traîner quelque part au fond d’un placard !
Non plus que les autres Briggs que j’ai achetés par la suite (la peur de manquer ?) chez d’autres fournisseurs parisiens. Citons les parapluies Antoine, avenue de l’Opéra, qui présentaient l’avantage, il y a encore peu de temps, de disposer d’un atelier permettant d’effectuer des réparations sur place. Las ! l’ouvrier qui effectuait ces réparations a pris sa retraite, et il faut désormais attendre pour réparer, par exemple, une baleine cassée, que le parapluie traverse la Manche aller-retour. Heureusement, en attendant le retour du parapluie de course, la maison vous prêtera un mulet.
Un conseil pour finir : au moment de l’achat d’un parapluie, foin de superstition ! ouvrez-le dans le magasin pour vérifier que la toile n’est pas trop tendue. Car si c’est le cas, au bout de quelques utilisations (disons mille ou deux mille, vous pouvez toujours faire le test sur place, vous êtes sûr de vous faire un ami du vendeur) les coutures situées autour du mât céderont et vous obligeront à un coûteux rentoilage.
Merveilleux article .Emprunt d’une certaine nostalgie bien agréable par cette saison froide qui arrive .Il est bon de souligner que le service de Brigg est irréprochable et inégalable, même 60 ans après leur construction, Brigg assure la maintenance et la réparation de leur parapluie.Quelle longévité !
Merci Monsieur Philippe pour ces quelques lignes de rêve .