London pschitt

Ce qui est agréable, quand on retourne à Londres, c’est qu’on y retrouve des parfumeurs qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Enfin, si, on les trouve désormais partout, puisqu’ils sont présents sur le web. Mais les parfums, sur le web… Et puis rien ne vaut le désordre un peu poussiéreux des pharmacies de Londres, que le corner de feu Old England à Paris avait presque su reconstituer, sans doute involontairement.

A deux heures quinze de Paris par le rail, donc, on est très loin des lieux de vente aseptisés de notre capitale. Là-bas, les produits se présentent dans des meubles en bois sombre patiné par le temps, qui ont vu passer quelques générations de gentlemen et quelques raids de Messerschmitt.

De longs chausse-pieds en corne pendent dans un coin, font de l’œil au chaland pour venir dans son dressing. Sur les étagères des vitrines, les blaireaux sont alignés, comme à la parade les bonnets des Grenadier guards de la Reine. Les accessoires de rasage sont omniprésents dans ces lieux de vente dont la cible reste éminemment masculine. Avec les peignes et les brosses, ils offrent tout le nécessaire à civiliser nos toupets. Vous avez déjà vu des peignes à moustaches dans une parfumerie française, vous ? moi non plus.

La différence entre les lieux de vente traditionnels de part et d’autre de la Manche tient peut-être à ce que, de ce côté-ci, les parfumeurs ont commencé comme gantiers. Alors que les parfumeurs londoniens, pharmaciens d’avant les laboratoires, proposent quelque chose qui ressemble plus à une offre de produits de soins : crèmes, savons, après-rasage…

De là vient peut-être aussi ce qui forme le cœur de toutes les gammes des maisons les plus traditionnelles : des eaux de Cologne faiblement concentrées, à la tenue limitée dans le temps. A moins que ce ne soit là l’expression d’une discrétion britannique synonyme de bon ton.

Quoiqu’il en soit, de Mayfair à Pall Mall on découvre des gammes articulées sensiblement autour des mêmes accords : un lavande, un oriental néroli-patchoulesque, un bois de santal, quelques agrumes… Les notes de corps peuvent invariablement être qualifiées de soapy ou de woody. Elles se ressemblent souvent. C’est surprenant, d’ailleurs : comment deviner, le nez dans les notes les plus volatiles, que des eaux comme Blenheim Bouquet (Penhaligon’s) et Wellington Cologne (Geo Trumper) se ressemblent finalement à ce point au bout de quelques minutes ? la note de corps légèrement musquée (un musc omniprésent dans toutes ces colognes) ? une alchimie plus mystérieuse ? La différence entre ces gammes si semblables est donc subtile, provient d’un je-ne-sais-quoi de distinction supérieure de certains jus.

Les parfumeurs ont pour noms George F Trumper (Ah ! Curzon Cologne…), D R Harris, Floris, Penhaligon’s, Truefitt and Hill (Ah ! Grafton Cologne…) ou encore Czech & Speake. Ce dernier se distingue toutefois par une décoration plus contemporaine, plus froide, tournée, comme sa gamme de produits, vers le bain plus que vers la toilette. Il se distingue aussi, précisément, par des jus qui sortent des accords convenus. Il faut saluer au passage leur merveilleux room fragrance : Frankincense & Myrrh Room Spray. Impossible de se tromper à l’achat, c’est le seul que la maison produise, ou peu s’en faut, là où n’importe quel concurrent, même né de la veille ou de la dernière pluie, ce qui revient au même à Londres, propose aujourd’hui une large gamme de parfums d’intérieur plus ou moins réussis, histoire d’occuper tous les segments du marché, bon petit soldat du marketing.

Czech & Speake est pourtant un perdreau de l’année, en comparaison des parfumeurs voisins. Pensez-vous ! l’entreprise a été fondée en 1978, quand les parfums historiques qui forment encore le cœur de gamme des parfumeurs déjà cités remontent tous à… Disons quelque part entre la guerre de sept ans et la guerre des tranchées.

De sorte que le pèlerinage chez les parfumeurs londoniens, autant que pour la qualité des produits, vaut pour la vérification rassurante de cette boutade dont j’ai oublié l’auteur : En Angleterre, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se conserve.

2 réponses à “London pschitt

  1. ah ! comparer Blenheim et Wellington, en se demandant invariablement à l’issue : alors, laquelle est (vraiment) la meilleure ?? (d’autant que l’on peut même changer parfois d’avis). Ne pas négliger, au passage, Arlington cologne, chez D.R. Harris, qui mérite toute l’attention.

    C’est vrai que tout cela n’est pas très créatif, mais reflète admirablement une société conservatrice et sûre de ses valeures, où l’excellence n’est pas dans la création d’un nouvel accord, mais dans l’exécution (plus que) parfaite des recettes classiques. Une approche tellement désuette qu’elle en devient originale et délicieusement exotique … Et puis les produits sont remarquables !

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