La vie du rail ou la pente de l’uniforme

En octobre dernier, la SNCF a dévoilé les nouveaux uniformes de ses agents, dont la dotation interviendra progressivement au cours de l’année 2014. On ne regrettera certes pas les actuels uniformes de la SNCF, sélectionnés à l’issue d’un probable concours de laideur remporté au milieu des années 2000 par Christian Lacroix.

Uniforme SNCF

C’est un bureau de style spécialisé dans les vêtements professionnels, Nelly Rodi, qui a été retenu cette fois-ci. Les agents interrogés par la presse semblent enthousiasmés par leur nouvel uniforme, l’un d’eux le décrit comme « plus ajusté, plus confortable et surtout plus esthétique ». Et ajoute : « Dès que je l’ai vu j’ai pensé à The Kooples. » Les intéressés apprécieront sûrement.

Regardons ici de plus prêt ce que portera donc dans un proche avenir le personnel masculin de la SNCF. Etonnons-nous (quoique) pour commencer : la cravate a disparu… Au secours ! un dangereux soixante-huitard a-t-il volé la cravate du contrôleur ? Mais non, la cravate a bel et bien disparu. Dont acte. Chemise blanche ou bleu ciel et costume bleu marine, rien à redire du côté des couleurs, elles sont simples et de bon goût.

Mais au fait, qu’est-ce qui distingue ce costume-là d’un costume de ville ? Peu de choses : de discrets liserés rouges ici et là, qui suffisent à provoquer les critiques de certains syndicats. Pour des raisons esthétiques ? Que nenni, les syndicats sont au-dessus de ces considérations futiles ; en revanche ils craignent pour la sécurité des agents qui, en prenant ou en quittant leur service, pourraient être victimes d’agressions de la part d’usagers qui les identifieraient à leur uniforme.

A quelques décennies de distance, on entend donc exactement le même argument qui a valu entre autres raisons à l’uniforme de l’armée de terre française de devenir cette triste tenue Terre de France que nous connaissons encore aujourd’hui (elle a perdu dans la bataille les revers des manches de la vareuse, les galons le long des coutures du pantalon, elle a gagné un désastreux tissu mélangé dont la seule vue donne déjà envie de se gratter).

Pour rassurer les agents de l’Etat ou des entreprises publiques, gommera-t-on encore davantage les caractères uni-formels secondaires ? Quoiqu’il en soit l’uniforme, toutes fonctions confondues, se rapproche si fort désormais du costume de ville qu’il va finir par l’imiter complètement, couvre-chef excepté. On est ainsi passé en quelques décennies du prestige de l’uniforme au postiche : on ajoute une fausse barbe au costume de ville, un petit liseré rouge par exemple, et il devient un uniforme professionnel.

Si l’uniforme ressemble ainsi de plus en plus au lounge suit tel qu’on le porte aujourd’hui (un costume deux pièces monté sur une toile thermocollée, assemblé par des machines en une heure de temps, aussi gracieux qu’un meuble en carton), alors il y a fort à parier que ce sera la fin du lounge suit à la ville, par peur des consommateurs de sembler porter… un uniforme.

Les mélomanes se souviennent peut-être de ce refrain de Claude Nougaro : « Quand le jazz est là, la java s’en va ». Entonnons-le sur l’air de la mode : Quand l’uniforme est là, le costard s’en va, autrement dit : Quand l’uniforme se rapproche du lounge suit, le lounge suit se rapproche de la sortie.

Uniforme Sncf

Bref, si cette hypothèse chantante se vérifie, alors le costume tel que nous le connaissons risque de connaître un déclin rapide. Ou bien nous sortirons de cette convergence par le haut, c’est le cas de le dire : nous ressortirons les cravates !

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