Detaille 1905

Les parfumeurs de niche, ça se mérite. En l’occurrence, il faut chercher la perle du côté de l’église Notre-Dame-de-Lorette, dans un quartier en pleine bobo-isation, ou gentrification, si l’on préfère cet anglicisme, plus révélateur en fait de la réalité immobilière des lieux dont il est en général question.

Et quelle perle ! Detaille mérite le détour, et d’abord un détour historique, pour rappeler, comme le fait abondamment la communication de l’entreprise, que ses origines remontent à la création en 1905 par la comtesse de Presle d’une entreprise spécialisée à l’origine dans la cosmétique, avec un produit phare destiné aux automobilistes pour lutter contre la pollution atmosphérique : le baume automobile. Oui, oui, vous avez bien lu : 1905. Le concept était tellement moderne que le produit demeure dans la gamme actuelle, sous le même nom de baptême.

Un autre produit de la gamme remonte presque aux temps héroïques, il s’agit de l’Eau rafraichissante, si utilisée par le maréchal Lyautey dans les années 1920 qu’elle était à son époque commercialisée sous le nom de « l’Eau du Maréchal ». L’histoire ne dit pas si un autre célèbre maréchal l’utilisa aussi, mais on se doute que ce nom de baptême-là n’a pas été conservé, et qu’après 1944 il a fallu modifier un peu la communication dans ce qu’on n’appelait pas encore le marketing mix (pour autant que le terme ait pénétré chez Detaille depuis lors).

Cette eau rebaptisée Eau Rafraîchissante est vendue comme une « lotion tonique », délicieux qualificatif ! un tantinet ridicule, comme sorti d’une réclame des années 1950. Elle est constituée d’eau de rose, de fleur d’oranger et d’amande amère, sans alcool*, et destinée à des peaux normales et mixtes. Soit. Je l’utilise parfois comme après rasage, ça fonctionne bien, le parfum léger n’entrave pas l’utilisation ultérieure d’une eau de Cologne ou d’une eau de toilette.

On s’expose à bien d’autres tentations dans la petite boutique de la rue Saint-Lazare** : de la  cosmétique, poudres, crèmes, baumes ; des parfums, eaux de Cologne, eaux de toilettes masculines et féminines (souvent la distinction me paraît peu fondée, sinon sur le manque d’expérience de la clientèle) ; et même une courte gamme de bougies parfumées, surprenante parce que très estivale, le tout proposé à la vente dans un cadre simple mais sous une patine de bon aloi.

Au passage, j’ai testé deux parfums dans la gamme pour hommes, très élégamment présentée dans un flaconnage art déco. La qualité est au rendez-vous, aucun doute à ce sujet, et les deux ont révélé une belle tenue, le bénéfice sans doute de l’utilisation d’une proportion élevée de produits naturels revendiquée par le fabricant. Pour les reste, c’est une question de goût et de peau, comme toujours.

Aéroplane est un hespéridé chypré ainsi décrit par la maison : « Quelques notes fraîches où dominent citron, bergamote et petit grain, léger et aérien. Une touche aromatique de basilic et de menthe sur un accord chypré, sillage racé de patchouli et de mousse de chêne. » Compte tenu des ingrédients employés, la note de fond m’a paru étonnamment soapy, trop à mon goût, mais on peut aimer cette sensation de propreté, cette odeur de barbershop, en particulier pendant l’été, auquel ce parfum semble plus particulièrement adapté.

Par 4, lui, est un fougère aromatique décrit comme « Une essence virile où dominent galdanum, résine et safran. Associés au vétiver, la bergamote, le thym blanc et le basilic apportent leur douceur sur une finale de mousse d’arbre et de sauge. » Une élégance ultra classique, qui rappelle beaucoup certaines eaux de Cologne anglaises (Trafalgar Cologne ou Grafton Cologne de Truefitt & Hill par exemple), mais avec une tenue bien supérieure.

Bref, le lecteur l’aura compris, s’il s’intéresse à la parfumerie, ou s’il aime simplement les beaux produits, ou encore s’il déteste le Séphoraud sans âme ouvert pas loin de chez lui, il doit absolument aller découvrir ce lieu rare et ces beaux produits dont la présente chronique n’offre qu’un modeste aperçu.

* En fait l’emballage mentionne : « Sans alcool, sans paraben ». Il est amusant de voir combien, en ces temps de prudence et autre principe de précaution, les emballages sont devenus confucéens : ils désignent d’abord le produit en creux, disent avant tout ce qu’il ne contient pas.

** Detaille : 10, Rue Saint-Lazare 75009 PARIS

4 réponses à “Detaille 1905

  1. Conseillez plus encore le baume automobile.
    En ces temps de pollution, une petite touche et la peau respire !
    Après le rasage, c’est délicieux aussi.
    Ne laissez pas ce fluide magique à l’usage exclusif de nos ladies .

  2. une bien belle maison en effet, bien sûr Aeroplane (« ça rappelle … mais en mieux! »), leur vetiver (« L’escrimeur »), tout aussi remarquable – même pour les non fan de vetiver, c’est dire -, la si classiquement élégante cologne Chérubin, à asperger tout l’été, …
    et s’il fallait une bonne raison de retourner visiter les lieux, une très belle nouveauté arrive : Jump, un cuir bien enveloppant qui donne envie d’être déjà au cœur de l’hiver.
    Toutes proportions gardées, un santa maria novella à la française, qui mérite (au moins) une visite (d’autant que leur distribution est encore plus intimiste que celles des illustres prédécesseurs transalpins!).

  3. Lorsque j’ai écrit cet article, je n’avais fait que tester le Baume automobile, que j’ai plus largement adopté depuis quelques mois. Il se révèle à la hauteur de l’enthousiasme exprimé par Philippe Lorin !

  4. Un test récent m’invite à ajouter ce commentaire. Il y a quelques années, en effet, Detaille a lancé une ligne d’eaux de parfum, aujourd’hui au nombre de six. Parmi elles, j’ai testé Fleur de peau, présentée comme unisexe. Verdict ? Une magnifique eau de parfum, à la fois puissante et équilibrée.
    Le départ est frais, l’évolution rapide, d’une belle complexité un peu liquoreuse, la tenue est excellente (plus de 14 heures sur ma peau, après application d’une très faible quantité).
    Parmi les notes de fond émerge rapidement une tubéreuse magnifique, véritable colonne vertébrale du parfum, d’abord fleurie, puis adoucie, qui permet au parfum de ne pas basculer dans un univers olfactif exclusivement féminin. Cette note de tubéreuse est rendue presque doucereuse par des notes qui me font penser à la vanille et à l’héliotrope, bien que le fabricant ne les mentionne pas. Les notes de musc ressortent au bout de 9 à 10 heures et finissent par dominer, mais beaucoup plus “propres” que d’ordinaire, sans ce côté urinaire, animal, qui les rend parfois désagréables sur certaines peaux.

    Données du fabricant :
    Notes de tête: Mandarine – Bergamote
    Notes de cœur : bourgeon de Fleur d’Oranger – Bois de Cèdre
    Notes de fond: Tubéreuse – Jasmin – Musc

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