Depuis la rentrée, dans les boutiques de mode masculine de la capitale, je me dis à chaque visite, en parcourant les rayons : On y est presque ! La saison prochaine, à ce rythme-là, les vestes seront plus courtes que leurs manches. Les clients auront l’air de singes.
Pour le dire autrement, la longueur des manches de la veste dépassera la longueur des pans de ladite veste. Voilà une vision d’horreur qui contredit les règles du bon usage et du bon sens, mais qui ne serait que l’aboutissement logique et le trait ultime d’une mode qui s’impose depuis quelques années dans le prêt-à-porter.
En principe, rappelons-le, le bas d’une veste d’homme masque les fesses (celui qui tient absolument à montrer ses fesses peut toujours porter un spencer). Pourtant, ces dernières années, la veste et le veston n’ont cessé de raccourcir, phénomène déjà observé dans les années 1930 et qui avait ramené au goût du jour l’expression peu flatteuse de « rase-pet ».
Comme, en même temps que la veste devenait plus courte ces dernières années, la taille des pantalons est descendue comme après un arrêt d’urgence de la cabine d’ascenseur dans le sens de la descente, l’effet est accentué jusqu’au comique[1]. Veste rase-pet, pantalon taille basse, il est interdit d’avoir du ventre avec des vêtements comme ceux-là. C’est d’autant plus vrai que d’une part le boutonnage haut de la veste à la mode et la grande ouverture de ses pans laissent apparaître une disgracieuse quantité du tissu de la chemise rendue visible à la taille, et que d’autre part le pantalon est dépourvu de pinces, à croire que cette mode est dictée par des contrôleurs de gestion avares de tissu.
Les manches, elles, sont longues, nous l’avons tous vu (tous, sauf le contrôleur de gestion). Trop longues. Probablement ce goût pour les manches trop longues est-il favorisé par le fait que le gros des acheteurs est constitué de jeunes gens qui composent leur garde robe à l’âge où ils entrent dans la vie professionnelle, encore traumatisés par le souvenir de leur adolescence, où la croissance rapide du squelette les laissait régulièrement avec des manches au contraire trop courtes !
Mais la bonne longueur, rappelons-le, laisse encore dépasser un à deux centimètre de la manche de la chemise portée sous la veste. Ce qui déplace la question de la bonne longueur au niveau inférieur, celui de la chemise. Et là, un souvenir me revient, qui peut fournir une règle. Il y a quelques années, Oscar Udeshi me démontra que le bras replié pour lire l’heure à son poignet devait permettre au cadran de la montre d’apparaître, lisible, sans effort supplémentaire du bras. Soit. Cela dit, nous ne portons pas tous notre montre à la même hauteur de l’avant bras, mais enfin, vous voyez l’idée.
L’histoire nous enseigne que toutes les modes finissent dans l’excès, et qu’on en sort par le bas. Et de fait, avec ses manches trop longues, ses pans de veste atrophiés, le quidam à la mode ressemble de plus en plus à un singe, nous l’avons dit. Mais patience : l’histoire nous enseigne aussi que, dans la mode, un excès chasse l’autre. On peut donc parier, après la veste rase pet, sur un retour de la redingote.
[1] Pour le plaisir de la formule, rappelons ici la définition du montant d’un pantalon : il s’agit de la différence entre la longueur du pantalon mesurée à l’extérieur de la jambe et la longueur du pantalon mesurée à l’intérieur de la jambe. Ces dernières années, on peut dire que le montant est en baisse !
On ne peut voir en effet que l’influence du contrôleur de gestion dans cette tendance. Car enfin, pour ce qui est de la beauté de la silhouette ou du confort (pour peu que l’on soit… charpenté, disons)… Ne reste en effet que l’argument financier : lésiner sur le tissu, provoquer prématurément l’usure du vêtement en espérant voir revenir promptement le chaland pour de nouveaux achats.
En ce qui concerne la longueur des manches, personne n’est parfait, pas même un contrôleur de gestion.
Comme dans la fable du roi nu, il fallait que quelqu’un le dise tout haut pour que les yeux se dessillent; vous l’avez fait, bravo!
Sauf erreur, cette mode inepte à fortement été encouragée par Tom Ford, dont les tarifs ne l’assimilent pourtant guère au prêt-à-porter. Ce dernier a encore récemment réussi à ridiculiser Daniel Craig, dans le dernier opus de la saga 007, en lui donnant des airs de garçonnet endimanché ayant grandi trop vite; heureusement qu’il y a encore les costumes très ‘Saville row’ de Ralf Fiennes pour atténuer le désastre.
Chers messieurs, merci pour ces commentaires, auxquels j’ajoute une remarque, à la lecture de SIMONB : dans l’allure d’un quidam, une chose compte autant que le talent du faiseur, c’est le goût du client. Or, autant Roger Moore ou Pierce Brosnan semblaient aimer s’habiller, autant Daniel Craig ou Timothy Dalton, ces dernières années, ou encore Ralph Fiennes, si l’on élargit le cercle aux seconds rôles de la franchise, semblent y être complètement insensibles, et comme dépourvus de goût. Le travail de Tom Ford n’est pas déshonorant, à mes yeux, mais en fait de modèles le célèbre styliste texan est mal servi.
Je me suis fait, il y a peu de temps, la même réflexion que la votre. Je crois de plus en plus à l’effet contrôle de gestion que vous évoquez. En effet, le développement des enseignes de « fastwear » (H&M, Zara, Mango…) qui réalisent des économies de matières premières afin de rendre les produits moins onéreux n’ont fait, à mon sens, qu’amplifier un phénomène de mode qui existait déjà (édicté par Slimane notamment). Là dessus, les consommateurs s’habituent à une certaine esthétique (qui n’est pas celle que nous défendons) et les grandes marques suivent la tendance et l’accentuent peu à peu: pourquoi s’en priveraient-elles, cette tendance leur permet d’accroitre leurs marges en diminuant les coûts de fabrication et en vendant le produit fini au même prix (voire plus cher) au client. Le cercle vicieux par excellence…
Ca y est, j’en ai vu deux ! En l’espace de quelques semaines, j’ai croisé deux de ces vestons sur lesquels j’avais spéculé il y a deux ans, dont les manches tombent plus bas que la jupe. Je n’avais pas le temps de prendre les photos, mais, croyez-moi, mieux vaut coucher les enfants avant de regarder une chose pareille. Enfin, après avoir gagné ce pari-là, j’espère surtout gagner le second (le balancier de la mode repart dans le sens opposé)…