Avec la maison Jean Patou, rebaptisée simplement « Patou » depuis son rachat par LVMH en 2018, les amateurs de jeux de mots faciles sont servis, et d’abord par la maison elle-même et sa communication tendrement décalée. Laquelle doit contribuer à un dépoussiérage en règle de la marque, un rien tombée dans l’oubli depuis une vingtaine d’années.
Comme la mode et le luxe adorent ces histoires de Belles au bois dormant, tout devrait bien se passer pendant la période de réanimation, faisons confiance aux spécialistes. Déjà le (re)lancement de la mode et des accessoires cet automne a constitué l’un des événements de la dernière Fashion week à Paris. Auparavant, l’auteur de ces lignes a eu le plaisir et le privilège de s’entretenir au cœur de l’été avec Sophie Brocart, Directrice générale de Patou, pour parler notamment de sa vision de l’avenir de la maison.
Mais dans les pages d’un blog consacré le plus souvent à l’élégance masculine, il semble opportun de revenir dans un premier article sur la figure de Jean Patou, celui qu’on présente à longueur de communiqués de presse et de coffee table books(1) comme « l’homme le plus élégant d’Europe », ainsi que l’avaient surnommé les américains dans les années 1920. Un second article abordera l’aventure moderne de ses actuels successeurs à la tête de la maison.
Les portraits du couturiers se réduisent à quelques photographies largement présentes sur le web et nous montrent un homme dans la force de l’âge pour qui l’expression « tiré à quatre épingles » semble avoir été inventée. D’abord les coupes de son veston et de son pantalon sont toujours parfaites, ces vêtements tombent comme sur un mannequin. Ensuite, même dans un simple lounge suit, il porte gants et guêtres, il porte la canne et le Homburg (le chapeau le plus habillé après le haut de forme), il porte beau ! Sans l’ombre d’un faux pli. Et là où beaucoup d’autres auraient l’air emprunté, il semble souverainement naturel. Sans céder à la psychologie de bazar, je devine derrière ces clichés une forme rare de perfectionnisme satisfait.
Pendant tout l’entre-deux-guerres, ce perfectionniste va bâtir une maison de couture de premier plan, en s’entourant, suivant l’expression consacrée, des meilleurs talents de son temps : de dessinateurs de mode, de peintres, de décorateurs et d’architectes en vue, d’un parfumeur inspiré, aussi. Qu’il suffise de citer les noms de Louis Süe(2), d’André Mare ou d’Henri Alméras, et certains érudits se pâment.
A la même époque que Chanel, Jean Patou fait emprunter à la mode les voies nouvelles du sportswear chic et décontracté. C’est ainsi qu’une de ses clientes en vue est Suzanne Lenglen, et qu’un de ses vêtements phares est le twin-set. Jean Patou est également le premier à orner ses créations d’un monogramme composé de ses initiales « JP ».
Dans le domaine des parfums, la maison démarre sur un hat trick, avec le lancement en 1925 de trois parfums dédiés chacun à un type de peau et une couleur de cheveux : Amour-Amour, Que sais-je ? et Adieu sagesse. Mais le plus célèbre des nombreux succès de la maison est Joy, lancé en 1930, au début de la crise économique, avec ce slogan resté fameux : « Le parfum le plus cher du monde ».
Fast forward (dans la mode, on aime les anglicismes) : après la mort prématurée du couturier en 1936, l’entreprise se poursuit. Après-guerre, elle voit défiler de futurs grands noms de la couture entre les murs de l’immeuble de la rue Saint-Florentin(3). Marc Bohan, Karl Lagerfeld, Jean-Paul Gaultier ou encore Christian Lacroix y font leurs débuts. C’est d’ailleurs le départ de ce dernier, accompagné de l’atelier, pour créer sa propre maison de couture, en 1987, qui sonne le glas de la maison Patou « canal historique » (par une ironie de l’histoire, LVMH avait financé et accueilli en son sein la maison Lacroix(4), et c’est LVMH qui va essayer désormais de réveiller la belle endormie). Malgré le succès de ses parfums et le génie du nez maison jusqu’en 1997, j’ai nommé Jean Kerléo, légende vivante de la parfumerie, ce qui reste des actifs est cédé à Procter et Gamble en 2001. La marque y survit plus ou moins bien, et plutôt moins. Elle est vendue à Designer Parfums en 2011.
Ce fonds anglo-indien fait appel au parfumeur Thomas Fontaine pour reformuler et relancer les parfums historiques de la maison, mais ne rencontre qu’un succès limité avec cette nouvelle gamme baptisée « Héritage ». Il faut dire que le marketing mix(5) paraissait, disons surprenant, pour ne pas offenser ses responsables. Toujours est-il qu’en 2018 la marque change de mains une nouvelle fois. Et c’est là que s’achève notre trop bref coup d’œil dans le rétroviseur chromé de la prestigieuse maison, et que commence l’époque LVMH de Patou. La suite au prochain article!
(1) Le dernier en date, superbe, écrit par Emmanuelle Polle et abondamment illustré, a paru en 2013 chez Flammarion sous le titre Jean Patou, une vie sur mesure.
(2) Un flacon en verre des années 1920, vide, dessiné par Louis Süe et fabriqué à l’époque par Baccarat, se négocie au bas mot autour de 150 euros sur eBay. Ça rapporte plus que le recyclage. Et trois boîtes à poudre des années 1920, en bakélite, dessinées par le même Louis Süe, ont été adjugées 2125 euros chez Christie’s il y a quelques années.
(3) Je me souviens d’un rendez-vous dans le bureau historique du couturier, au début des années 1990, demeuré presque entièrement tel que l’avaient décoré Süe et Mare. Le lieu était incroyable : on avait l’impression en y entrant de visiter une salle d’exposition du Musée des Arts décoratifs. Merci encore à Jean de Moüy, petit-neveu du couturier, à qui je dois ce souvenir.
(4) En fait c’est un peu plus compliqué, puisque c’est la financière Agache, la holding de Bernard Arnault, qui l’avait financée, mais passons sur ces détails bassement capitalistiques.
(5) Vous vous souvenez de votre Kotler & Dubois ? Les 4P ? Sinon vous réviserez ça pour le prochain article.
Sources photographiques : Archives Patou et SVV Tajan
je ne m’attends certes pas à retrouver la silhouette d’un J Patou dans les futures créations de la marque (je ne sais pas si l’on pourra encore parler de maison …), enfin, sait-on jamais, peut-être il ne faudra PA-TOU jeter …