Elle dit Patou

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Qui se souvient aujourd’hui de Jean Patou ? Réponse : Patou le monde, mais au moins les lecteurs du précédent article, qui revenait sur l’histoire du couturier et de la maison éponyme. La vie romanesque de Jean Patou s’est achevée en 1936¹, mais son entreprise s’est poursuivie jusque dans les années 1990, en articulant de façon canonique la couture, les accessoires de mode, la cosmétique et la parfumerie. Aujourd’hui, après une éclipse, les astres semblent alignés pour que la marque brille de nouveau.

Depuis le rachat de la marque par le groupe LVMH en 2018, les choses sont allées assez vite. Sous la houlette de Sophie Brocart, cette start-up rebaptisée simplement « Patou » a fait venir Guillaume Henry en tant que Directeur Artistique (ticket doublement gagnant chez Carven au début de sa carrière : chouchou des rédactrices de mode et artisan du revival commercial de la marque) et présenté sa première collection de mode et d’accessoires en septembre 2019.

Est-ce la mystérieuse cousine de Guillaume Henry ? Alors tous à Dijon ! Veste en jacquard avec plumes, inspiration escrime couleurs marine et ambre.
Est-ce la mystérieuse cousine de Guillaume Henry ? Alors tous à Dijon !
Veste en jacquard avec plumes, inspiration escrime couleurs marine et ambre.

Le terme de start-up, au sein de LVMH où les nombreuses marques coexistent avec beaucoup d’autonomie, ne semble pas déplacé. Dixit Sophie Brocart : « Patou, c’est un hors-bord ! » Et le moteur en est électrique, sans doute. Comprenez que Patou épouse toutes les tendances actuelles de la mode, y compris celle de la Responsabilité Sociale et Environnementale. C’est ainsi que les cotons utilisés sont certifiés GOTS (Global Organic Textile Standard, il paraît que dans le maquis des labels bio celui-là est le plus sérieux), que les cintres sont en matériaux recyclés, comme d’ailleurs l’essentiel du mobilier dans les bureaux, désormais situés à portée de bourdon de la cathédrale Notre-Dame (Vous reprendrez bien un peu de plomb ?).

Un site marchand a ouvert ses portes sur le web : www.patou.com (quelques scories mais beaucoup de charme), une boutique éphémère aux Galeries Lafayette, allegro ! Sophie Brocart me dit que Patou vise d’abord la parisienne sophistiquée (vu du Wyoming c’est un pléonasme), pour lui proposer une mode « accessible et pas impossible à porter », puis le Royaume-Uni, parce qu’on a «un peu le même goût, quand même », voire les Etats-Unis. Mais l’objectif principal à court terme est de rendre Patou à nouveau désirable.

Le logo JP… Si une marque peut sans honte se permettre le logo, c’est bien Patou... Pull oversize en laine Mérinos à découpes, couleur fleur de pêche
Le logo JP… Si une marque peut sans honte se permettre le logo, c’est bien Patou…
Pull oversize en laine Mérinos à découpes, couleur fleur de pêche

Si vous me demandiez mon avis (tout le monde s’en fiche, je sais, mais en même temps c’est le privilège et le bon plaisir du blogueur, que d’émettre des avis), je recommanderais d’attaquer tout de suite le marché américain, où le succès jamais démenti de la maison Patou depuis les années 1920 a laissé des souvenirs nombreux, des photos de Jackie Kennedy portant des robes Jean Patou, des produits vintage nombreux et des perfumista totalement acquises à la mémoire des parfums de la maison, qu’elles perpétuent avec ferveur. Et en parlant de parfums, je n’attendrais pas pour relancer un ou deux parfums, histoire d’apprécier la température de l’eau (quand on a un parfum comme « Normandie » dans ses archives, qui ne demande qu’à renaître des cendres du paquebot, on ne se prive pas du bon, brave litige que son relancement pourrait créer, dans notre monde devenu chatouilleux du patronyme ; avec Normandie on peut tirer au journal, lancer le buzz façon Champagne de Saint-Laurent, qui ne coûte rien mais rapporte beaucoup en couverture médiatique).

Une idée en appelle une autre : je lancerais volontiers une activité vintage au sein de la maison. On pourrait la baptiser : Patou9 (à lire à haute voix)… Une boutique online dans la boutique online (je vous fais le concept en deux mots : in-store vintage), spécialisée dans le vintage Patou, certifié par la maison. Pour aller vite et ne pas mobiliser trop de ressources financières, un modèle de place de marché suffirait, à condition de contrôler strictement l’image, dans le triple but de renforcer la légitimité historique de la marque, de ne pas laisser le chiffre d’affaires à d’autres distributeurs spécialisés dans le luxe vintage et enfin de surfer sur la vague de l’économie circulaire.

Revenons à nos moutons et à l’actualité de Patou, pour lire ce qu’en dit son Directeur artistique. Au fil des interviews, Guillaume Henry déclare qu’il doit « pouvoir habiller [sa] petite cousine de Dijon. » Avec les mots du story telling et non plus du marketing, c’est parfaitement en ligne avec le positionnement de la maison. Au passage, on apprend que Guillaume Henry se sent très inspiré par Christian Lacroix, époque Patou. On ne peut que s’incliner devant cette source d’inspiration²!

Moi qui ai la nostalgie des manteaux de femmes des années 1960, je suis heureux de voir ce genre de pièce. Manteau oversize en drap de laine, couleur fleur de pêche
Moi qui ai la nostalgie des manteaux de femmes des années 1960, je suis heureux de voir ce genre de pièce.
Manteau oversize en drap de laine, couleur fleur de pêche

Je ne suis pas un spécialiste de la mode féminine, mais ce que j’ai vu dans la première collection m’a beaucoup plu d’une manière générale. Et… Oui, ce sont des vêtements que les femmes peuvent porter au quotidien, dans la vraie vie. J’ai pensé à un équivalent féminin du « classic with a twist », une expression souvent utilisée par Paul Smith pour qualifier ses collections pour hommes. On souhaite à Patou de connaître le même succès.

En attendant, la boutique en ligne offre déjà un large choix de vêtements et d’accessoires. Sur les vêtements les plus sport (les cabans, la maille), le logo JP est repris, parfois réinterprété et oversize. Chez d’autres créateurs cette facilité vulgaire m’agacerait, mais dans le cas de Patou la présence voyante du logo semble très légitime (lire à ce sujet le précédent article).

A côté des couleurs classiques du vestiaire féminin, la couleur « fleur de pêche » m’a séduit, qui est très présente dans la collection, et m’a fait penser : C’est une couleur parfaite pour le marché américain. Le blogueur est un animal têtu… Au passage, il n’y a que la mode féminine pour nous offrir ces bulles de poésie dans le nom des couleurs. On peut s’en moquer, à la manière de Loïc Prigent dans son dernier opus³, c’est-à-dire avec talent, mais pour ma part je ne crache pas sur un peu de poésie en hiver.

L’avenir dira si l’équipe de Patou mène la marque à bon port, celui du revival accompli, mais en attendant le hors-bord semble bien lancé !

 

(1) Et comme pour y ajouter une dernière note romanesque, Jean Patou est mort « dans des conditions mystérieuses », probablement d’une crise d’apoplexie. Scénaristes, à vos tablettes ! Il y a là matière à une film élégant et sophistiqué, de quoi envoyer Phantom Thread dans les cordes, ce n’est pas Sophie Brocart qui me contredira.
(2) Au fait, il se trouvait une magnifique robe de la collection été 1986 dans la dernière exposition du Musée Galliera hors les murs, au Musée Bourdelle.
(3) Passe-moi le champagne, j’ai un chat dans la gorge, Editions Grasset & Fasquelle, Collection Le Courage, Paris 2019. Encore plus drôle que le précédent ! Parfois même profond, sans qu’on sache trop si cela est volontaire ou non.

 

Sources photographiques : Patou.com

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