Des socquettes et des hommes

A la page 62 des Chroniques de l’homme élégant, Le chouan des villes, le meilleur d’entre nous comme disait l’autre, parle des mocassins à enfiler pieds nus pour les enlever à peine arriver sur la plage. J’aimerais me retrouver dans cette description de la simplicité : du sable, des pieds nus et des mocassins. Mais, n’étant pas vendéen, je vais à la plage seulement en été. Et tout le monde a bien en tête l’influence de la chaleur sur les glandes sudoripares. Ainsi, de l’image d’une plage idyllique quasi déserte et peuplée de seulement quelques grandes voiles à l’horizon, je passe directement au souvenir d’une désagréable moiteur dans mes chaussures, que je n’oserai pas enlever en fin de journée.
Pourquoi les chaussettes invisibles ne trouvent-elles pas grâce aux yeux du Chouan des villes ? Si je cherche à comprendre le chouan, c’est parce que derrière lui, il y a beaucoup d’hommes qui refusent, de prime abord, les socquettes invisibles. Pourquoi ?
Les arguments rationnels en faveur de ces chaussettes sont évidents : avec une socquette, on transpire moins. La transpiration ne va pas dans la chaussure, protégeant ainsi vos pieds, votre nez et vos chaussures. Et je sais que le chouan est attaché à la pérennité de sa garde-robe. Garder longtemps ses chaussures (même si elles ont coûté plus chères) a une valeur en soi. Par ailleurs, les chaussettes passent plus facilement en machine que les mocassins.
Mais je sais que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Alors, disséquons ensemble ce cœur qui bat à sa propre cadence.
Est-ce par manque de temps ou par flemme ? Ce n’est pas le temps que prend l’achat de ces chaussettes qui peut manquer au Chouan. Quand on prend le temps d’écrire un livre, on peut bien prendre quelques secondes pour mettre des chaussettes invisibles.
Est-ce par économie ? Non, le Chouan ne mégote pas, c’est flagrant quand on le lit. Et comme on l’a dit, les chaussettes invisibles sont plutôt de nature à générer des économies en préservant vos chaussures. Je crois que ce serait faire fausse route.
Je ne crois pas qu’il faille chercher du côté des arguments pratiques.
Est-ce par excès de rationalité ? Peut-on porter une chaussette encore plus courte qu’une chaussette mi-mollet qu’on se refuse déjà à mettre ? Ce serait une paresse intellectuelle de penser cela car, à la fin, le résultat est si différent, que ce raisonnement serait spécieux. Cela explique peut-être le premier mouvement de refus qu’ont certaines personnes la première fois qu’elles voient des socquettes. Mais pas le deuxième.

Il ne peut pas y avoir de raisons esthétiques, car il n’y a pas d’esthétique. Ces chaussettes sont invisibles. Pour les quelques secondes où on a plus ses chaussures mais encore ses socquettes ?

socquettes homme invisible portées dans des mocassins
Il n’y a pas de raison esthétique car il n’y a pas d’esthétique.
Pour des raisons littéraires ? Parce que personne n’en parle dans la littérature ? N’est pas une preuve en soi de l’incongruité de ces chaussettes ? L’Académie Française, elle-même, n’a-t-elle pas exclu ou volontairement oublié ce mot assez moche de socquette ? C’est une première piste sérieuse.
A propos de littérature, ces socquettes ont-elles un sexe ? Si « socquette » est l’anagramme (facile) de « coquettes », n’est-ce pas une preuve que l’expression « socquette homme » est une contradiction dans les termes ? Et donc une impasse ? Il est vrai que les socquettes sont arrivées par les femmes, sans doute par les sportives de haut niveau. Ces dernières ont ensuite inspiré les jeunes femmes. Puis par capillarité, les femmes plus âgées et les jeunes hommes s’y sont mis. Dans les lycées, on ne voit quasiment plus de chaussettes. Plus parce qu’elles sont désormais invisibles que parce qu’elles ont réellement disparu.
N’est-ce pas plutôt une question d’honneur, ou au moins de point d’honneur ? Les chouans de ce monde ne préfèrent-ils pas subir des désagréments, que de porter un vêtement trop récent, trop féminin, en un mot, suspect ? Je suis sensible à la question de l’honneur. Il y a sans doute dans notre inconscient français, un goût chevaleresque pour l’honneur. Crécy et Azincourt sonnent certes douloureusement mais sonnent quand même à nos oreilles. Et ces deux batailles permettent Jeanne d’Arc. Mais Pavie ? La charge de François Ier qui gêna sa propre artillerie, encore balbutiante de ce début de XVI siècle. Elle était pleine d’honneur et « tout fut perdu, fors l’honneur ». Mais à quoi a servi la défaite de Pavie ? La frontière entre erreur et honneur est parfois ténue. C’est d’ailleurs pour cela que l’honneur est si beau.
Enfin, je ne saurais terminer cet article en me mettant dans la peau d’un autre. Et d’un autre qui aurait la peau toujours sèche, une peau qui ne transpire jamais. Pour ceux là, il me faut simplement me dire que les socquettes répondent parfaitement à un problème qui n’existe pas.

3 réponses à “Des socquettes et des hommes

  1. Pour ma part, j’ai pas mal tergiversé. Mais je dois bien reconnaitre qu’après 4 ou 5 tests je ne reviendrai plus en arrière.
    C’est le seul vêtement que ma femme m’achète, Je crois qu’il y a un message subliminal

  2. … Bien d’accord avec l’auteur de ce billet et (pour une fois) pas d’accord avec le vénéré Chouan des villes. En effet, les pieds nus dans des souliers en été, c’est über cool, personne n’ira le contester, mais c’est supportable deux minutes, le temps de prendre la photo. Le risque d’inconfort majeur, voire de blessure, dès qu’on marche un tant soit peu, est décidément trop élevé. Alors vive les chaussettes invisibles !

  3. Bien qu’étant à moitié Vendéen, je ne suis pas d’accord avec le Chouan. Porter des mocassins ou toute autre chaussure pieds nus expose à l’apparition de l’ennemie jurée des calcéophiles : l’ampoule. Et croyez-moi, on perd bien vite de sa coolitude lorsque chaque pas vous écorche un peu plus les chairs à vif à l’arrière du pied. Entre le cuir des souliers et notre peau, devinez qui gagne ?
    Pour cette raison médicale, j’ai opté pour les chaussettes invisibles à mettre avec mes mocassins en veau velours de chez Sanders.
    Et mon choix se porte sur les chaussettes avec un renfort en silicone à l’arrière.

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