Considérations sur la veste de tweed

L’habit fait-il le moine ? Contrairement à la sagesse quelque peu éventée de certains proverbes, il y contribue parfois. Mais on ne saurait généraliser, dans un sens comme dans l’autre. Prenons l’exemple de la veste de tweed.

La garde-robe idéale des vacances d’été en Ecosse.
La garde-robe idéale des vacances d’été en Ecosse.

Une amie me demanda un jour si je n’étais pas né vêtu d’un tel effet, tant il est dans mon habitude d’en porter, pour peu que les chaleurs de l’été ne m’en découragent pas. La question était drôle et pertinente : elle ne prêtait aucune signification, aucune connotation particulière au fait que je porte souvent une veste de tweed. Mais ne nous attardons pas sur cette anecdote, et revenons à l’habit et au moine – aux moines, faudrait-il dire, comme nous l’allons entrevoir.
Commençons par l’habit et n’y allons pas par quatre chemins : une veste est une veste, que l’on appelait encore il y a quelques lustres un veston lorsqu’elle faisait partie d’un costume (pourquoi ce dernier terme semble-t-il être tombé en désuétude, votre serviteur l’ignore ; désuétude du complet?). Contentons-nous de l’imaginer de bonne coupe et d’une taille adaptée autant à son propriétaire qu’à l’usage qu’il en a. Quant au tweed, ayons l’humilité de nous fier à un dictionnaire, le petit Robert par exemple :

TWEED [twid] n.m. (1845, « vêtement » ; mot angl. altér. de l’écos. tweel, angl. twill « étoffe croisée », probabl. sous l’infl. de Tweed, fleuve côtier entre l’Angleterre et l’Écosse). Tissu de laine cardée (d’abord fabriqué en Écosse), avec armure en toile ou serge. Tailleurs, manteaux, vestes de tweed. De beaux tweeds.
La mention « d’abord fabriqué en Écosse » tend à nous rassurer : certes, le profane aura tendance à appeler « tweed » un peu tout et n’importe quoi pourvu que cela y ressemble au moins vaguement (la ressemblance étant revendiquée ou non) ; mais l’appellation n’est pas si locale : un tweed peut être tissé en Écosse, en Irlande, en Angleterre… et pourquoi pas hors des îles britanniques, dès lors que techniquement parlant il correspond à la définition.

Evelyn Waugh, l’air farouche et illuminé, comme toujours sur les portraits dans lesquels il prenait la pose, comme presque toujours en costume de tweed…
Evelyn Waugh, l’air farouche et illuminé, comme toujours sur les portraits dans lesquels il prenait la pose, comme presque toujours en costume de tweed…

Quant à l’utilisation du tweed (pour confectionner des vestes ou d’autres effets vestimentaires), il semble qu’elle soit passée de paysans d’Écosse et du nord de l’Angleterre à toute une gentry rurale ou de passage pour quelque chasse, puis par imitation à la bourgeoisie – petite ou moyenne – des villes britanniques, avant de s’exporter – par snobisme, par goût ou par sens pratique. Tant pour la fabrication que pour le port, ne crierait-on pas aujourd’hui à l’appropriation culturelle ? Contentons-nous de chuchoter cette hypothèse, de peur qu’elle ne se réalise.
L’usage, l’iconographie, la littérature, voire certains clichés, rendent compte de la difficulté à classer un homme portant une veste de tweed. Certes, il ne le fera pas toujours ni partout : dans Le Facteur humain, de Graham Greene, Davis, fonctionnaire au MI6, est considéré comme un farfelu parce qu’il vient au bureau en veste de tweed (nous sommes dans les années 1970), tandis que dans Hors de l’abri, de David Lodge, le héros, adolescent de la petite bourgeoisie londonienne, débarque à Heidelberg un plein été avec sa veste de tweed toute neuve et sans doute promise à une longue carrière : un investissement pour ses parents, maintenant que le garçon est grand (nous sommes vers 1950). Toujours dans la littérature de langue anglaise, au détour de quelle préface ou de quel article ai-je vu un jour Evelyn Waugh être qualifié de tweedy traditionalist (ce qui est toujours moins désobligeant que old fogey) ? Quelques portraits d’écrivains en tweed rendront encore la classification plus difficile : Samuel Beckett, Michel Déon, ou encore Julien Gracq. Dans ce dernier cas, n’est-ce pas la tenue de travail de Louis Poirier, professeur d’histoire-géographie au lycée Claude Bernard ?

Avec un pantalon de golf de la même étoffe, vous voilà prêt à pédaler jusqu’au bureau en novembre.
Avec un pantalon de golf de la même étoffe, vous voilà prêt à pédaler jusqu’au bureau en novembre.

La veste de tweed, à l’époque où Gracq refusa le prix Goncourt (il existe une belle photo de lui s’expliquant dans l’arrière-salle de quelque café devant un parterre de journalistes au sujet de ce refus), était assez répandue dans des bleus ou des gris dans une petite ou moyenne bourgeoisie française souhaitant être habillée sans être guindée. Tout bon faiseur des quartiers tièdes de Paris – et probablement de province – avait ce genre d’article à proposer, fier de pouvoir coudre en doublure l’étiquette Harris Tweed ou Donegal Tweed… jusqu’à la disparition progressive de ces boutiques locales, il y a peut-être vingt ans.

Et maintenant, dans notre vie laborieuse et quotidienne ? Celui qui, travaillant dans quelque haute administration ou au siège de quelque grande entreprise, se rendra à son bureau en veste de tweed, pantalon de whipcord, chemise de flanelle et cravate de laine, se verra sans doute demander s’il n’a pas eu le temps de se changer en rentrant de la campagne. Tandis que celui qui, dans le même appareil, se rendra pour son travail en des lieux où l’on se vêt au petit bonheur, sera moqué ou admiré pour sa tenue, son élégance, son air so British, comme ils disent. Il s’en amusera ou s’en agacera, selon son humeur, haussant les épaules devant une expression aussi dénuée de signification que so British, pour peu qu’il n’ait pas le travers de jouer un personnage, autant au monde qu’à lui-même.
Où l’on voit – peut-être – qu’en l’occurrence ce n’est pas l’habit qui fait le moine ni le moine l’habit, mais que ce serait plutôt le monastère ou le monde qui juge l’habit, voire le moine. Nous voilà dans un épais brouillard, temps idéal pour enfiler une épaisse et confortable veste de tweed.
À propos de campagne, que faire d’une veste de tweed portée en ville qui, après s’être délicieusement faite à l’anatomie de son propriétaire, commencera à montrer des signes d’usure plus ou moins avancée (disons entre cinq et dix ans d’âge) ? Un bon retoucheur y apportera les reprises et rapiéçages qui s’imposent, aux coudes surtout, et elle pourra servir à la campagne. Ou en ville, pour quelques déplacements hivernaux à vélo nécessitant des vêtements qui n’ont plus rien à craindre. Avec un vieux pantalon de whipcord ou de velours côtelé, lui-même passablement et dignement poché, voilà notre veste repartie pour une nouvelle carrière, d’une durée indéterminée et parfois surprenante.
Cela nous incitera à souhaiter, plutôt qu’une longue vie, de longues vies à nos vestes de tweed !

Encore un pour la route ?
Encore un pour la route ?

 

Sources : www.pinterest.fr, www.enotes.com, www.dasblauetuch.com

2 réponses à “Considérations sur la veste de tweed

  1. Cet article me rappelle soudain mon professeur de… Comment donc était-elle baptisée, cette matière de prépa HEC ? d’économie politique, peut-être, enfin bref, il portait souvent, très opportunément le samedi matin, un complet de Donegal assez sec, plus au goût des continentaux que des britanniques, un prêt-à-porter de bonne tenue qui devait sortir de chez Berteil ou Old England. Pour des raisons distinctes les deux sources sont aujourd’hui taries, c’est bien dommage à l’approche de l’automne !

  2. Par un souci d’exactitude, l’auteur tient à rendre compte d’une lente et distraite recherche : c’est dans la fort lisible préface de « Put Out More Flags » (en français : « Hissez le grand pavois ») commise par un nommé Nigel Spivey pour une édition « Penguin » de cet encore plus lisible roman, qu’Evelyn Waugh est qualifié de « Tweedy traditionalist » :
    « Centuries of knightly service stood around in the chapels at Mells: Evelyn Waugh the tweedy traditionalist was not untouched by their vocational spirit. »

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