La cravate en tricot de soie ou le retour des barbouzes

Mes Élégances salue ici le troisième article de Philippe, qui nous fait l’honneur de mettre à contribution sa plume. Qu’il en soit remercié, qu’il se sente bienvenu !

L’autre jour je relisais ce roman très behaviorist de Michel Mohrt, Deux Indiennes à Paris*. On jurerait à sa lecture qu’au début des années 1950, où se situe l’action, tous les hommes portaient la cravate en tricot — de soie pour la ville, de laine pour la campagne. Extrait :

« L’Amérique est en pleine crise, dit le banquier qui avait fait un voyage à New York au moment de Noël. Il était vêtu de bleu marine et portait une cravate de tricot noir sur une chemise blanche.

cravate tricot

– A New York les gens sont inquiets, quoi ? J’ai constaté un fort mouvement isolationniste. Une méfiance envers l’Europe. »

La chemise blanche et le tricot noir, c’est encore la panoplie de James Bond ou des Barbouzes de Lautner au début des années 1960. James Dean aussi, pourtant l’image même du rebelle, denim et chemise largement échancrée, porte la cravate en tricot noir sur des photos de ces années-là.

Ensuite ? Lent déclin. Depuis que Lino Ventura est mort, les derniers amateurs connus de cravates en tricot de soie se rencontrent surtout dans le milieu littéraire. Feu Maurice Rheims, Jean d’Ormesson, Jean Dutourd ou François Nourissier, pour ne citer que les premiers qui me viennent à l’esprit, apparaissent presque toujours avec une telle cravate autour du cou. Le plus souvent sombre et discrète. Noir. Bleu indigo pour les plus audacieux.

Et puis surprise ! Depuis une petite dizaine d’années, des fabricants de prêt-à-porter italiens assez pointus, plutôt haut de gamme, bref pas le genre qu’on peut soupçonner de ringardise, communiquent dans les pages des magazines avec des photos de modèles arborant la cravate en tricot revisitée, palette de couleur soudain élargie, du parme, du bleu de Prusse… Début d’une renaissance ?

Ce qui est sûr, c’est que, s’il n’en restait qu’une dans son dressing room, ce serait celle-là. La cravate en tricot, noir, peut se porter aussi bien pour un enterrement que pour un mariage, sous un costume de ville que sous une tenue plus décontractée, veste en tweed et pantalon de velours.

Un tel accessoire est resté un classique dans nombre de grandes maisons. Je donne la préférence à Charvet, pour sa soie comme toujours de très grande qualité, très lumineuse, et pour ses patrons très particuliers, qui font le petit pan presque aussi large que le grand, et permettent, si on le souhaite et si on aime faire des tours, de réaliser des nœuds assez, comment dire ? Gros.

Les esprits chagrins objecteront à juste titre que le nœud d’une cravate n’est pas destiné à battre des records, et que trop petit ou trop gros il constitue une visible faute de goût : on le remarque. Donc à chacun d’échantillonner selon son goût, qui n’est pas forcément le même que celui du prince de Kent, parmi les fournisseurs de cet étrange accessoire, produit hybride des mondes habituellement cloisonnés de la cravate et de la chaussette !

* MOHRT Michel. Deux Indiennes à Paris. Editions Gallimard, PARIS 1974.

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