Elégance ou coquetterie d’éditeur ?

Depuis l’invention du livre, et pour encore quelques décennies, le temps que la civilisation de l’écran finisse de s’imposer, l’éditeur est celui qui habille les livres. On a coutume de dire que tout ce qui est à l’intérieur appartient à l’auteur, tout ce qui est à l’extérieur à l’éditeur : de la première à la quatrième de couverture, c’est ce dernier qui impose son goût, décide de la première impression que donnera malgré lui le texte.

Le charme des livres non coupés

Par analogie avec l’élégance vestimentaire, l’éditeur dessine un habit au livre (une livrée ?), que l’imprimeur va ensuite couper, monter et relier, c’est-à-dire finalement coudre ou coller, parfois les deux. Reste en dernier lieu, pour rendre la lecture immédiatement accessible, à massicoter ce tas de papier, constitué de feuilles pliées plus ou moins suivant le format de l’ouvrage.
Et c’est là que peut advenir un revival du livre non coupé. Le livre non coupé… Autrefois la norme, cette façon est devenue un clin d’œil nostalgique à la tradition, la touche rétro qui plaît à quelques vieux maniaques et autres excentriques. Ici l’imprimeur, plutôt que de livrer un produit fini, laisse le premier lecteur couper lui-même les pages. La tranche du livre prendra à ce moment-là cet aspect irrégulier qui n’est pas sans rappeler l’envers d’une boutonnière faite à la main, ou encore, quoique sans raison formelle alors, des guêtres ou un col détachable, par l’allure ostensiblement peu pratique et démodée.

Quelques éditeurs perpétuent cette tradition, sur des marchés de niche et pour des produits qu’on ne trouvera guère en rayon dans la maison de la presse d’une gare de chemin de fer. Citons par exemple Fata morgana, dans des collections de poésie ou la réédition des livres de Léon-Paul Fargue.
Citons également José Corti, dans l’édition des livres de Julien Gracq. On peut vraiment parler ici de coquetterie partagée avec l’auteur, lequel se plaît à refuser le prix Goncourt, les éditions de poche, le cirque éditorial de la littérature de son temps. Le livre non coupé manifeste alors avec superbe la volonté élitiste de tourner le dos à son époque, de rendre l’accès au livre plus difficile, de trier son public. Mais au fait, est-ce élégant, un livre non coupé ? voire.
Avantage : c’est l’occasion de se servir d’un objet qui peut être joli et que l’on a de moins en moins l’occasion d’utiliser dans sa correspondance (j’ai essayé d’ouvrir mes e-mails avec un coupe papier, j’ai seulement rayé l’écran de l’ordinateur). Inconvénient : même en gardant une bonne cadence, et sans viser la médaille olympique de la discipline, il faut bien dix à quinze minutes pour couper toutes les pages d’un livre… Compter cinq fois plus pour un Millenium non coupé !

Une réponse à “Elégance ou coquetterie d’éditeur ?

  1. Certes, couper toutes les pages d’un livre prendrait du temps… mais jamais on ne ferait cela !
    Les pages se coupent à mesure de la lecture, et ajoutent un temps de délicieux suspense lorsqu’il faut s’appliquer à couper pour lire la fin de la phrase.
    Et ça remplace élégamment un marque-pages.

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