Encore Cinquante nuances ? Oui, navré, votre chroniqueur n’est pas inspiré en ce moment. Préparez-vous donc au pire : jeux de mots éculés, incantations vestimentaires et moralisme du bouton de col.
Le printemps et l’automne sont les saisons d’élection de l’imperméable et le mastic sa couleur emblématique. Le quoi ? Oui, vous voyez, cette couleur qui n’en est presque pas une, quelque part entre l’argile séchée et le beige fané, passe-partout, voire crasse-partout car tout de même un peu salissante. Wikipédia la décrit ainsi : « Mastic est un nom de couleur qui désigne une nuance de beige d’après la couleur du mastic de vitrier, mélange d’argile et d’huile de lin. Ce terme abrège l’expression couleur mastic, surtout en habillement et textile. »
Comme souvent, de l’autre côté de la Manche l’acception peut changer. Ainsi, dans le nuancier d’un marchand de couleurs pour artistes britannique, la couleur « 0618 mastic » correspond à un rose grisâtre. Mais généralement il est admis que le kaki clair des trench-coats de l’armée britanniques de la première Guerre mondiale, « porté par les civils et illustré par les détectives du cinéma », a été appelé par la suite imper mastic.
Et le mastic, c’est fantastique ! Il n’existe pas de couleur qui se marie plus facilement avec ce qui vous tombe sous la main. Il y a des alternatives mais elles devraient presque toutes être évitées. Et de fait le chaland semble les bouder : le noir, le bleu, le gris, rien n’a pris ! Fort heureusement, car la plupart de ces couleurs vous donnent un air d’espion de la guerre froide. Le vert évoqué plus haut présente une alternative plus intéressante et légitime, quoique d’un usage plus difficile que notre mastic protecteur, lequel protège d’abord de tous les fashion faux-pas. On voit (rarement il est vrai) des verts kaki ou tilleul, parfois irisés, du plus bel effet. En bref, si vous n’avez qu’un seul imperméable, choisissez-le de couleur mastic. Ensuite seulement, aventurez-vous du côté vert de la force si le cœur vous en dit.
Une fois réglée cette question capitale de la couleur, venons-en à deux autres questions d’importance. Primo, faut-il privilégier le 100% coton ? Là encore, cela dépend de l’étendue de votre garde-robe : les imperméables en coton sont superbes mais fragiles. Deux saisons passent et ils sont déjà élimés. Choisissez donc pour votre premier achat un mélange de coton et de polyester (jusqu’à 50-70% de polyester). Ça ne fait pas rêver mais ça s’use dix fois moins vite.
Secundo, faut-il privilégier le trench-coat croisé ? Peu de vêtements vous donnent autant l’air d’une star de cinéma que le trench-coat. Et puis pour les puristes… Mais on tombe vite dans la caricature: inspecteur Clouseau, inspecteur Gadget, il ne faut donc pas en abuser, ou alors avec une bonne dose de sprezzatura.
Il est sage de choisir en premier un simple imperméable droit, sans ceinture ni trompette, qu’on peut, sans se lasser, porter toute la semaine si la pluie persiste. La fantaisie militaire attendra le deuxième achat, et là on ne résistera plus au charme du trench-coat d’Humphrey-Marlowe.
Au fait, d’où vient-il, ce trench-coat ? le rappel historique fait partie des poncifs d’un article consacré à l’imperméable, peut-être plus qu’à tout autre vêtement. Je ne vais pas y couper, certes, mais comme tout le monde connaît l’histoire, nous allons la faire courte : première guerre mondiale, tranchées, pluie et boue du nord de la France, tac-tac-tac, boum ! grenades ! armistice et retour à la vie civile et à la paix… Ce n’est pas si mal ce truc-là, après tout (je parle du trench-coat parce que pour la paix on avait peu de doute). A la ville comme à l’écran, on voit bientôt du trench partout et sur les épaules des deux sexes. Et voilà. Désormais, le mastic, c’est chic !
Chez qui convient-il de se fournir aujourd’hui si l’on veut faire l’acquisition d’un imperméable ? les puristes qui ne regardent pas à la dépense n’auront qu’un nom à la bouche : Burberry. C’est un peu la Rolls Royce de l’imperméable. Le modèle Kensington représente ce qu’il y a de plus traditionnel dans la gamme actuelle, toutefois les modèles les plus traditionnels ne sont pas toujours présentés en ligne, on a intérêt à se déplacer pour y regarder de plus près. Au fait, le mot « mastic » doit sembler ringard aux oreilles des marketers de Burberry, puisqu’ils baptisent « miel » la couleur en question. Dont acte et va pour le lexique de l’apiculture.
Il y a eu (et il y a encore, qu’il suffise de songer à la production de Good Life, dont il a été question déjà dans ces pages) de bons producteurs en France, dont l’un s’est en outre illustré par l’emploi du talentueux Gruau dans nombre de ses campagnes publicitaires, j’ai nommé Blizzand. Mais la production de Blizzand a cessé depuis… au moins les premiers pas de la génération Z. Laquelle génération Z peut aller se fournir chez Husbands, qui propose de belles pièces.
Restent les grandes marques « généralistes » telles que Ralph Lauren, qui continue de produire de superbes trench-coats. Reste aussi l’ancien rival de Burberry, Acquascutum. Acquascutum fait partie de ces marques fortes qui semblent à la dérive depuis des décennies, dans son cas depuis une trentaine d’années (jusqu’en 1990 la société est restée une société familiale), mais que les incessants changements de mains et de cap ne parviennent pas à couler tout à fait. Acquascutum nec mergitur ! Cela dit, la production actuelle est réservée à l’Asie du sud est et la marque a replié la toile, imperméable ou pas, dans le reste du monde¹.
Au hasard de mes pérégrinations imperméables, j’ai découvert un de ces joyaux que nous offre le pays du soleil levant lorsqu’il s’agit de reproduire, en mieux ! un savoir-faire occidental que sa contrée d’origine ne sait même plus conserver. Sous la marque Batak, pour Bags of Tailor’s Knowledge (et pourquoi pas ?), les japonais produisent de superbes imperméables avec un soin et un niveau de finition inégalés. Sur leur site web, le Directeur commercial (enfin, je crois bien que c’est son titre), Minoru Kan-no, porte le cheveu raide mais le col souple, un col anglais qui-ne-fait-pas-de-prisonniers, et il défend un vision ultra-conservatrice de l’imperméable, notamment du patronage en “A” d’un vrai trench-coat. Une production admirable et très désirable. En particulier, la marque propose un modèle dans un magnifique vert irisé, comme en trouvait autrefois chez… Burberry.
Beige Habilleur, à qui nous avons consacré un article, proposait il y a quelques années de superbes trench-coats de la maison (japonaise, elle aussi) Cohérence. En ce moment, hélas, ils ne semblent plus en rayon. Une pénurie de composants électroniques ?
Si la production moderne désespère l’acheteur en quête de sensations trench, il reste le marché du vintage et autre seconde main, très dynamique. Mais là, il faudra prendre le temps de chiner. C’est une autre histoire, qui donnera peut-être lieu à un second article (j’ai déjà le titre : “Vous en reprendrez bien une trench?”)
Sources des images : www.batak.jp, photo de l’auteur, www.ovadiaandsons.tumblr.com et www.thefedoralounge.com
Notes
(1) La raison en est qu’après bien des déboires la production maison s’est éteinte, et que depuis 2020 la marque ne subsiste plus que par un licencié exclusif, Trinity Limited, filiale à Hong-Kong de la Ruyi Fashion Investment Holding Company Limited, basée à Pékin.
Encore un domaine où les excellents japonais seront les derniers à faire de beaux vêtements « occidentaux » ? L’autre paradoxe du trench c’est qu’il soit autant porté par les femmes, ce qui est naturellement un tout autre sujet.
Comment, comment, et pas un mot sur Grenfell ?
Touché ! une pareille omission, c’est presque une faute… Merci Sven, voilà qui est plus complet (d’autant que les prix au détail de Grenfell restent raisonnables, alors que ses imperméables sont le plus souvent made in London).