La tenue de chasse grand style

Sans pourtant être chasseur du tout, vous caressiez depuis longtemps le rêve d’être un jour invité dans ce qu’on a coutume d’appeler « les chasses présidentielles ». D’abord parce que c’est chic et que ça se case facilement dans une conversation lors d’un dîner en ville, ensuite parce que c’est quand même une expérience à vivre qui vaut singulièrement mieux qu’une matinée dans une laverie de quartier, et parce qu’enfin, arriver en retard au boulot en disant qu’on chassait entre un ministre et un sénateur sur un ton faussement gêné, ça en jette. Chacune de ces raisons étant suffisante seule.

Une scène de chasse spectaculaire et unique, superbement saisie
Une scène de chasse spectaculaire et unique, superbement saisie

Le bachotage, l’examen théorique puis l’examen pratique : par précaution et dans la perspective ou surviendrait l’improbable invitation, vous avez sagement passé le permis de chasse et vous voilà nanti du précieux papier vert.

Après des tractations délicates où le doigté le dispute à la flatterie, vous parvenez à glisser à quelqu’un d’introduit que vous aimez la chasse. Longtemps, rien ne se passe. Et puis un jour, la survenue de l’inespéré. Le carton d’invitation tombe. Feu. Feu. Hurlements de joie. Feu. Direction Rambouillet.

Pourtant, vous n’avez rien dans votre garde robe qui vous permette de faire bonne figure devant les autres hôtes de cette chasse délicieuse et de ses délicieux organisateurs.

Vous avez deux choses à faire. La première est de vous équiper, la seconde d’apprendre à tirer. Car la République chasse à tir et non à courre.

Pour ce qui est du tir, rassurez-vous. Il y aura ce jour là deux type de gens : ceux qui chassent 200 jours par an, que vous ne rattraperez jamais et qui tueront à eux seuls de quoi faire le tableau pour 10, et ceux qui, comme vous, ne sont la que fortuitement, et dont la maladresse au tir vous mettra fort à l’aise.

Un faisan commun
Un faisan commun

La chasse est dans un mois. 20 ans de plus ne seraient pas superflus pour faire de vous une fine gâchette, mais le monde est ainsi fait qu’on a pas tout son temps. Vous pouvez néanmoins allez faire quelques séances de ball-trap (tir au clays) pour vous faire la main sur votre pétard, et pour vous rendre compte avec surprise qu’il faut tirer devant pour être dedans.

L’arme du crime. Soit qu’un ami vous en prête une, soit que vous possédiez un râtelier fourni ou que vous en achetiez : renseignez-vous bien sur son calibre et achetez des munitions en conséquence. L’objet de ce blog n’est pas de vous donner des lumières sur ce point technique. Sachez simplement que les tromblons ne sont plus en usage dans le siècle où nous sommes. Pour paraître savant ou du moins éviter de d’afficher votre ignorance, renseignez-vous un peu sur votre arme : son calibre, sa crosse anglaise ou semi-pistolet, ses platines s’il en a… Sachez enfin  que le canon scié que vous utilisez pour vos coups d’éclats cagoulés fera sans doute forte impression mais vous attirera des ennuis.

Pour vote culture personnelle, ayez quelques marques de fusils de luxe à l’esprit : Holland & Holland, Purdey, Gastinne Renette, Boss, Francotte, Boucher, Lebeau-Courally, Browning, Beretta… De la même façon que la choucroute est allemande, les beaux fusils de luxe sont anglais, éventuellement belges, parfois italiens ou espagnols, jamais chinois.

Un fusil Lebeau-Courally juxtaposé à platines démontables
Un fusil Lebeau-Courally juxtaposé à platines démontables

Apprenez à faire la différence entre un fusil et une carabine. Parlez du recul en riant, de l’Afrique avec passion et du braconnage avec dégoût. Dites du mal des mauvais armuriers et des lunettes de tir qui se dérèglent.

Vient ensuite le point épineux de l’habit. L’habit fait le chasseur autant que le moine. Totalement.

Comme vous vous en doutez, on ne se rend pas à une chasse présidentielle en training ou en redingote selon que l’un ou l’autre se présente en premier dans votre garde-robe. Comme toutes les activités civilisées, la chasse a ses tenues, ses codes et ses usages.

Pour le costume, il vous faut au choix, un complet de tweed avec un pantalon knickers, qui laisse voir vos belles chaussettes de chasse et vos garter, ou un knickers en cuir de cerf, en vachette ou en moleskine que vous porterez avec une veste en tweed.

Un knickers est un pantalon qui s’arrête au genou. Non seulement il est élégant, mais en plus il fait bon ménage avec les bottes car ils n’empiètent pas l’un sur l’autre. N‘hésitez pas à vous acheter un knickers d’occasion pour vous approprier, avec ses marques de fatigue et ses griffures de ronces, un passé de chasseur. Le knickers en cuir a plusieurs avantages sur ses frères en velours ou en coton. Il est chaud l’hiver, frais l’été, et ne se déchire pas quand les ronces s’y attaquent. Vous pouvez aussi avoir deux knickers : celui de votre complet que vous porterez pendant la ripaille préliminaire et celui en cuir de cerf que vous enfilez au moment de passer à l’acte. Vous pouvez aussi garder celui de votre complet si le déroulement des opérations ne vous conduit pas dans un roncier touffu qui aurait bien vite raison de votre beau complet.

Bien sûr, vous vous serez procuré des chaussettes de chasse à revers et d’élégants garter chez Mes Chaussettes Rouges.

La cartouchière est un élément important. Vous risquez de tirer beaucoup. A la fois parce que le gibier abonde, mais aussi parce que vous tirez mal et qu’il vous faudra force cartouches pour atteindre l’infortuné volatile ou le sanglier qui se presse vers vous. Prévoyez donc une ample cartouchière, sur laquelle vous pourrez faire apposer vos initiales, ou celles de votre grand-père si vous voulez faire croire que vous venez d’une vieille famille de chasseurs. Dans ce dernier cas, évitez d’en prendre une neuve car vous ne tromperiez personne. Elle permet un accès facile à vos cartouches pour de recharger plus vite, et donc d’arriver plus sûrement à ses fins. Vous la remplirez entre chaque battue avec des cartouches qui correspondront au gibier de la battue suivante.

Pour les chaussures, il existe des « derbys de chasse », dont le nom explicite permet de ne pas se poser trop de questions sur le choix du modèle. Toutes les bonnes marques en vendent. Les Paraboot ont la faveur des bons pères de famille, mais toutes les bonnes maisons en proposent. Pour cet usage campagnard, assurez-vous que les semelles sont en gomme, vous glisserez moins dans la boue. Pendant la chasse à proprement parler, il vous faudra vraisemblablement quitter vos derbys de chasse pour porter des bottes si la boue s’invite parmi les convives. Prenez-les fourrées s’il fait froid. Les bottes Aigle et les bottes Le Chameau permettent de faire face à la majorité des situations. Par temps sec, vous pouvez aussi prendre des chaussures de marche, mais ce genre d’équipement, se porte d’ordinaire plus pour la chasse en montagne. Si votre chasse a lieu par -20°, vous pouvez acheter des bottes Meindl qui vous permettront de tout braver.

Les très classiques derby de chasse Paraboot
Les très classiques derby de chasse Paraboot

Il vous faudra aussi un chapeau, même s’il ne pleut pas, c’est l’usage. Que vous choisissiez une casquette en laine, ou que vous préfériez un chapeau en feutre, portez-en un !

Enfin les derniers accessoires une corne de battue, que l’on appelle aussi pibole, vous permettra de signaler aux autorités organisatrices ce que vous avez tué. Le casque anti-bruit électronique présente d’importants avantages sur les boules Quies. Facile à mettre et à enlever, il vous protège du froid, mais surtout, il supprime électroniquement les détonations, qui à la longue rendent sourd. Enfin, le trépied offre un confortable siège dans l’attente du gibier. Attention toutefois à ne pas vous y endormir et à rester alerte !

Si vous êtes placé à côté de quelqu’un de puissant dont vous espérez une faveur, vous aurez le bon goût de le laisser tirer avant vous sur le gibier qui choisira de passer entre lui et vous. Si vous tirez tout deux sur la même proie et que par chance le coup porte, félicitez-le même si vous pensez en être le bourreau.

Et surtout, avant de tirer, demandez-vous toujours si vous pouvez le faire sans risque, car en matière de chasse, il n’y qu’une seule chose à savoir, c’est qu’il vaut mieux passer pour un tireur gauche que pour un assassin adroit !

Voilà, donc ! Paré de vos plus beaux atours, vous pouvez vous rendre au rendez-vous de chasse. Ici comme ailleurs, point trop n’en faut : soyons chics, restons simples.

5 réponses à “La tenue de chasse grand style

  1. Excellent article qui cerne bien les questions que peut être amené à se poser un néophyte avant de chasser à Chambord ou Rambouillet.
    Je suis chasseur et j’ai eu la chance de chasser sur le domaine présidentiel de Chambord.
    Etant placé à la droite d’un ministre en exercice, j’ai laissé passer un sanglier qui avait l’idée saugrenue de passer exactement entre nous deux. Le ministre n’a pas tiré non plus et m’a copieusement engueulé, m’expliquant que le gibier était « à moi ».

  2. Excellent article qui fait sourire et même parfois rire les gens des campagnes. Mais la leçon à retenir est celle de l’avant dernier chapitre

    « Et surtout, avant de tirer, demandez-vous toujours si vous pouvez le faire sans risque, car en matière de chasse, il n’y qu’une seule chose à savoir, c’est qu’il vaut mieux passer pour un tireur gauche que pour un assassin adroit ! »

  3. A Olivier,
    Surtout ne regrettez rien, se faire « engueuler » par un ministre montre simplement que ce dernier est un cuistre. A la chasse comme au jeu, on ne commente jamais négativement, on peut féliciter, sourire, remercier de l’attention qui vous était donnée, dont on n’a pas profité, mais au grand jamais on ne fait de reproche.
    Bien cordialement

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