Vêtements élimés, avez-vous donc une âme ?

Il s’agit bien d’un alexandrin, et les plus littéraires auront reconnu, bien que détourné, un célèbre vers de Lamartine. Le second hémistiche est authentique, c’est donc un vers à moitié plein. Loin de constituer le manifeste d’un mouvement de poetry hijacking, il invite au débat : un vêtement usé reste-t-il élégant ? Le devient-il ?

Cravate élimées - Vêtements élimés, avez-vous donc une âme ?

Au bout de quelques années de bons et loyaux services, le col de chemise est la partie du vêtement qui s’élime le plus vite, sous les frottements répétés du col de veste. Il laisse alors apparaître un jolie coin de triplure blanche, encore plus remarquable sous un tissus de couleur. Avec les blue jeans, l’effet est très recherché depuis quelques années. Et avec les chemises ? ça se discute.

J’aime assez pour ma part cette élégance avachie au fil des années, d’une garde robe habitée, qui passe plus de temps sur le dos que dans les placards. Le col de chemise devient alors d’autant mieux ajusté que la pente naturelle de l’homme est l’embonpoint. L’épaule du veston, tassée encore par le port d’un pardessus en hiver, a moulé peu à peu l’épaule de celui qui le porte, les lignes du vêtement ont gagné en rondeur, l’ensemble s’est assoupli, le pantalon plombe mieux. Je reconnais toutefois que ce goût pour une élégance avachie peut heurter les amateurs de power suit, aux épaules carrées, aux angles droits.

Le vêtement usagé en définitive n’a pris qu’un seul pli : celui de son propriétaire, dont il a fini d’épouser les formes plutôt que de respecter celles que lui avait données son fabricant. Traité avec le peu d’égard ou la familiarité qu’on devrait toujours accorder à ce qui n’est qu’une enveloppe, il apporte à l’élégance une touche de nonchalance, cette sprezzatura si habilement recherchée en Italie.

Mais au bout du compte, tout de même, à son zénith le vêtement usagé commence à s’user franchement. On en devine trop bien la trame, il devient louche. Il convient alors de se poser la question : Que faire des vêtements élimés ? continuer de les porter ! pardi, si vous ne craignez pas le look des jours difficiles, très à la mode en ces temps de crise. A la toute dernière extrémité, lorsque vous passerez au travers d’un poignet mousquetaire en enfilant votre chemise, vous pourrez toujours prolonger la durée de vie de votre liquette en faisant changer cols et poignets par votre chemisier. Dans le cas d’une chemise de couleur,  et comme vous n’aurez probablement pas conservé du tissu d’origine, ni fait nettoyer ledit tissu en même temps que la chemise, vous opterez pour des cols et poignets inversés.

Enfin, ne rêvons pas, même les souliers amoureusement pommadés, ridés par le temps, gercés par endroits, finiront par faire voir le jour à vos chaussettes. Et là, sauf à cultiver le look Boudu sauvé des eaux, il faudra bien se résoudre à une douloureuse séparation. Au rebus ! l’objet de tant d’attention dans son choix, puis de tant de soins dans son entretien, devenu peu à peu le prolongement de votre personnalité. Vêtements élimés ? vous aviez donc une âme.

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5 réponses à “Vêtements élimés, avez-vous donc une âme ?

  1. Mon cher, quel bel article! Quelle dimension vous donnez au vêtement! Pour ma part je ne peux me résoudre à me séparer des mes habits ou souliers. Je finis simplement par les porter de moins en moins, puis par les laisser reposer dans ma penderie, tels des souvenirs.
    J’ai expérimenté le mois dernier le changement de col sur une chemise grâce à Monsieur Courtot, et je dois dire que j’en suis très content!

  2. Bonjour,
    Une seule chose est plus forte que l’amour que vous portez à vos vêtements usés jusqu’à la doublure : la capacité de vos placards ! Au-delà d’un certain rapport de compression, les chemises et costumes trop serrés dans la penderie seront aussi froissés que votre pyjama au petit matin… Lorsqu’on en arrive là, le coup de balai s’impose.
    Cordialement,
    Andrei Caudray

  3. Je partage l’avis d’Andrei mais j’ajoute encore un petit grain de (fleur de) sel.
    Longtemps, j’ai conservé mes vêtements élimés, par nostalgie, par goût (si je les ai, c’est que je les ai aimés) et -je l’avoue piteusement- souvent par flemme de faire un tri dans les méandres insondables de ma penderie.
    Puis un jour, je me suis décidée à changer cela: virer ce que je ne porte plus depuis deux ans. Virer les petites chose que j’adore, mais qui partent en quenouille et ne font que déservir mon image.
    Ce fût un moment pénible, un moment douloureux, mais je n’ai pu que constater que la place gagnée en supprimant ces reliques tant aimées a apporter un coup de frais à ma penderie. Mieux: j’ai retrouver des petites choses ravissantes, dont j’avais oublié l’existence et qui, aujourd’hui, me vont à ravir.
    Mais il reste, sur quelques cintres, bien au chaud dans mon armoire, quelques pièces élimées, démodées ou non, mais dont je ne me séparerai pour rien au monde. Oui, elles ont une âme qui s’attache à mon âme et de les perdre me rendrait bien malheureuse.

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